CULTURE

Fallait-il autoriser la réédition de « Mein kampf » ?

Fallait-il autoriser la réédition de « Mein kampf » ?
Page de garde de "Mein kampf", publié à Munich. (c) Étienne Madranges
Publié le 06/04/2025 à 07:00

EMPREINTES D'HISTOIRE. Cela fait 100 ans. 100 ans qu’Adolf Hitler a écrit « Mein Kampf ». Le 1er janvier 2016, ce livre écrit en 1924 alors qu’il était en prison, est tombé dans le domaine public. A travers l’Europe, des éditeurs se sont interrogés sur l’opportunité de publier cet ouvrage aux idées plus que nauséabondes et au texte abominablement raciste et antisémite.

Dès 1979, un éditeur français avait entrepris, dans un souci pédagogique et de connaissance de l’histoire contemporaine, de le republier. La justice française avait alors solidement encadré cette publication.

Notre chroniqueur illustre cette chronique par un étonnant vitrail installé à Montgeron en 1942 qui figure Hitler en implacable bourreau, reconnaissable à sa mèche de cheveux et à sa moustache, vitrail qui n’a jamais été repéré par les Allemands tout occupés à envahir la zone libre.

En 1923, Adolf Hitler, qui dirige le Parti national-socialiste des travailleurs allemands organise un putsch à Munich en Bavière. Il est arrêté et condamné à cinq ans d’emprisonnement. Il est incarcéré à la prison de Landsberg, un établissement carcéral construit en 1910 dans le sud-ouest bavarois (qui accueillera plus tard les criminels nazis).

Un livre écrit en prison, imprimé à des millions d’exemplaires

Hitler ne reste en réalité que neuf mois en prison en 1924.  Il en profite pour écrire « Mein Kampf » (« Mon combat »), en deux tomes, qu’il dicte à ses adjoints. Dans cet ouvrage, il exprime sa haine des Juifs, son mépris pour la France et les Français, son désir de dominer le monde.

Il utilise le mot « juif » et les mots assimilés (« juiverie… ») à près de 400 reprises, le mot « race » plus de 400 fois, les mots France ou Français plus de 80 fois.

Dans la conclusion du second tome, il écrit : « Un État qui, à une époque de contamination des races, veille jalousement à la conservation des meilleurs éléments de la sienne, doit devenir un jour le maître de la terre ». Le livre est publié en 1925.

Pendant la période nazie, environ 12 à15 millions d’exemplaires sont vendus ou distribués, notamment aux soldats et aux jeunes couples se mariant.


Hitler décapitant le peuple juif sous les traits du roi Hérode décapitant Saint Jacques * Vitrail de Mauméjean de 1942 dans l’église de Montgeron (Essonne). © Étienne Madranges

En 1934, les « Nouvelles Éditions Latines » publient en France une traduction intégrale du livre, sans l’autorisation de l’auteur ni de l’éditeur allemand. Ce dernier assigne l’éditeur français devant le tribunal de commerce de la Seine et sollicite l’interdiction de la publication en français en France.

Le 18 juin 1934, le tribunal de commerce condamne l’éditeur français à payer un franc symbolique à l’éditeur allemand mais rejette la demande d’interdiction.

Un statut juridique de droit commun

A l’issue de la seconde guerre mondiale, les Américains occupant l’Allemagne transfèrent les droits liés à « Mein Kampf » à l’État de Bavière, ce « Land » devenant donc propriétaire des droits patrimoniaux de l’ouvrage.

En 2006, une directive du Parlement européen et du Conseil codifie et confirme une directive de 1993 disposant que les droits patrimoniaux sur une œuvre s’éteignent à la fin de la soixante dixième année après la mort de l’auteur.

On retrouve cette disposition en droit français dans l’article 123-1 du code la propriété intellectuelle : « L'auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d'exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d'en tirer un profit pécuniaire.

Au décès de l'auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l'année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent ».

Aucune disposition légale particulière applicable aux œuvres de Hitler et de ses sbires n’est prévue. Leurs livres sont donc régis par le droit commun. Le 1er janvier 2016, l’ouvrage entre totalement dans le domaine public. Il peut être dès lors réimprimé sans autorisation et sans droits.

Une interdiction légalement possible

Mais le contenu de « Mein Kampf » permet cependant de s’interroger sur la licéité de sa publication contemporaine.

En effet, si, en France, seules les publications destinées aux enfants font l’objet d’un contrôle préventif et d’une éventuelle censure par une Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à la jeunesse, les livres, d’une façon générale, peuvent subir une censure administrative ou judiciaire dès lors que leur contenu tombe sous le coup, outre les atteintes à l’intimité de la vie privée, des dispositions de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Il est en effet interdit, sous peine d’encourir 5 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, de faire l’apologie de crimes contre l’humanité, de provoquer à la haine raciale, ethnique ou religieuse.

Et le ministre de l’Intérieur peut toujours interdire une publication dangereuse pour l’ordre public.

La décision de la cour d’appel de Paris du 30 janvier 1980

En 1977, les « Nouvelles Éditions Latines » récidivent et publient à nouveau « Mein Kampf ».

Dans un arrêt du 11 juillet 1979, la cour d’appel de Paris condamne l’éditeur à verser des dommages et intérêts à la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme mais autorise la diffusion du livre sous réserve de l’insertion d’un avertissement préalable.

Dans un arrêt complémentaire de 12 pages du 30 janvier 1980, la même cour d’appel, toujours présidée par le Premier président Jean Vassogne, définit clairement le contenu de l’avertissement au lecteur devant accompagner toute réédition de « Mein Kampf » dont le texte ne doit comporter « ni choix ni coupure pouvant masquer certains aspects de l’œuvre ».

La cour constate que « Mein Kampf », qui constitue assurément un document indispensable pour la connaissance de l’histoire contemporaine, est aussi une œuvre de polémique et de propagande dont l’esprit de violence n’est pas étranger à l’époque actuelle et qui par là-même peut encore, malgré l’inanité de ses théories, contribuer à une renaissance de la haine raciale ou à l’exaspération de la xénophobie ».

La cour rappelle ensuite les différents textes du droit positif français qui répriment les provocations à la haine ou à la discrimination.

Elle admet que le livre « peut heurter la sensibilité de ceux qui ont souffert des persécutions et des crimes commis » mais ajoute qu’il importe « que les hommes se souviennent du crime et s’en détournent avec horreur ».

La juridiction évoque la nature des crimes commis au nom des idées exprimées par Hitler, les tortures, les exécutions, les privations, les exterminations, fait référence à des témoignages lors du procès de Nuremberg, et mentionne les travaux scientifiques en matière d’anthropologie ainsi que la résurgence des thèses négationnistes.

La cour ordonne que la conclusion de l’avertissement soit énoncée de la façon suivante : « Le lecteur de « Mein Kampf » doit donc se souvenir des crimes contre l’humanité qui ont été commis en application de cet ouvrage, et réaliser que les manifestations actuelles de haine raciale participent de son esprit ».

Des responsables politiques s’insurgent

En 1998, des parlementaires demandent au ministre de l’Intérieur d’interdire la diffusion en France de ce livre faisant l’apologie de la haine raciale. Le ministre répond que la justice a tranché, autorisant cette diffusion sous réserve de l’insertion d’un avertissement, et qu’il n’envisage donc pas d’interdire l’ouvrage sur le fondement de l’article 14 de la loi du 29 juillet 1881 permettant d’interdire les ouvrages d’origine étrangère (article qui sera abrogé en 2004).

Jean-Luc Mélenchon, alors eurodéputé, évoquant « l’horreur » que lui inspire la décision prise par Fayard d’éditer en 2016 « Mein Kampf » s’adresse directement à cet éditeur : « Ce livre est le texte pri?ncipal du plus grand criminel de l’ère moderne… Il est la négation même de l’idée d’humanité universelle… Votre volonté d’une édition critique, avec des commentaires d’historiens ne change rien à mon désaccord. Éditer, c’est diffuser… la maison Fayard avait déjà édité ce livre abject en 1938. Pourquoi renouveler une aussi méprisable initiative ? Cela ne peut qu’ajouter le mal au mal qu’il contient… ». Comparant le projet de réédition à un « nouveau crime contre l’esprit », il exhorte Fayard à ne pas « s’exposer à la honte ».

« Historiciser le mal »

En 2016, les Éditions Fayard décident néanmoins de publier « Mein Kampf » sous le titre « Historiciser le mal, une édition critique de Mein Kampf », dans un ouvrage de 1000 pages pesant 4 kilos tiré à 10 000 exemplaires, vendu 100 euros.

L’éditeur se dit convaincu que « le travail des historiens est nécessaire pour lutter contre l’obscurantisme, le complotisme et le refus de la science et du savoir en des temps troublés, marqués par la montée des populismes ».  Il explique que sa démarche résulte d’une analyse critique, d’une mise en contexte, d’une déconstruction, ligne par ligne, du texte de Hitler, et d’un travail mené avec une équipe d’historiens allemands pour aboutir avant tout à un ouvrage d’histoire.

Les bénéfices de la vente du livre sont reversés à la Fondation Auschwitz-Birkenau.

Compte tenu de la réunion de tous ces éléments, on peut admettre que la réédition de « Mein Kampf » était non pas nécessaire, tant s’en faut, mais envisageable dans un cadre extrêmement rigoureux tout en déplorant que ce livre puisse être considéré comme appartenant au patrimoine commun de l’humanité puisqu’en application de ses funestes et abominables préconisations il a provoqué l’Holocauste et donc l’une des plus grandes tragédies de l’histoire.

* Le curieux vitrail de Montgeron

En 1941, pendant la seconde guerre mondiale, le curé de Montgeron (Essonne), aidé par des dons de paroissiens, passe commande de vitraux et de mosaïques aux frères Mauméjean, célèbres maîtres-verriers et mosaïstes. Les artistes et le chanoine Le Couëdic n’aiment guère l’occupant allemand et encore moins le führer…

L’idée vient alors aux divers protagonistes pour ce nouveau décor vitré de l’église Saint Jacques le Majeur, de mettre en scène le chancelier du IIIème Reich sous les traits d’un bourreau éliminant le peuple juif.

Une scène biblique du Nouveau Testament permet de réaliser ce subterfuge. Dans les Actes des Apôtres, il est dit au chapitre 12 que le roi Hérode « supprima Jacques, frère de Jean, en le faisant décapiter ».

C’est ainsi que les frères Mauméjean réalisent dans le chœur de l’église de Montgeron un vitrail représentant Hérode, en réalité Hitler, décapitant Jacques, en réalité Jacob (Israël) symbolisant le judaïsme car père des douze tribus d’Israël.


Vitrail de Mauméjean de 1942 (offert par une paroissienne, Mme Dumay) situé à gauche dans le chœur dans l’église de Montgeron (Essonne) représentant Hérode décapitant Jacques, mais dans l’esprit du verrier, représentant Hitler décapitant le peuple juif.
© Étienne Madranges
Dans le carré blanc la photo prise avant le remontage du vitrail, sans la vergette. © VitrailFrance Emmanuel Putanier, permet de distinguer la moustache, légèrement décalée puis cachée pour égarer l’observateur pendant l’occupation

Si la mèche de cheveux de Hitler permet de commencer à l’identifier, sa moustache est cachée derrière une vergette, fine barre métallique de soutien située entre deux barlotières, ceci afin d’éviter tout souci pendant l’occupation, d’autant qu’il y a un cantonnement allemand à Montgeron. L’initiative n’était pas sans risques ! Il faudra cependant des années aux historiens et aux chercheurs ainsi qu’un démontage récent de la verrière pour restauration pour découvrir le sens de ce vitrail, véritable témoignage de résistance.

Étienne Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 251

 

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