JUSTICE

Refus de visite au dépôt : la bâtonnière saisit le Conseil constitutionnel

Refus de visite au dépôt : la bâtonnière saisit le Conseil constitutionnel
Publié le 15/04/2025 à 12:00

Après s'être vu refuser l'accès aux geôles du tribunal de Rennes dans le cadre du droit de visite des bâtonniers, Catherine Glon a saisi le Conseil constitutionnel. Les sages, qui ont tenu leur audience ce mardi, répondront le 29 avril prochain à la question de savoir si le droit de visiter les lieux de privation de liberté s'étend aux cellules situées dans les sous-sols des tribunaux, appelés aussi « le dépôt ».

Des milliers de personnes se trouvent chaque année dans ces geôles en attente d'être présentées aux magistrats. Sont concernées les personnes faisant l'objet d'un mandat d'arrêt ou d'amener, les détenus transférés juste avant leurs procès et les mis en cause en comparution immédiate lorsque la juridiction n'est pas en capacité de les recevoir à l'issue de leur garde-à-vue.

Les faits remontent au 9 avril 2024, lorsque Catherine Glon, alors bâtonnière de Rennes a souhaité accéder aux geôles du tribunal judiciaire avec ses délégués dans le cadre du droit de visite reconnu aux bâtonniers. Après que le palais de justice lui a opposé une fin de non-recevoir, maître Glon saisit le tribunal administratif d'un recours pour excès de pouvoir. Soutenue par le barreau rennais et le syndicat des avocats français, l'avocate invoque une inconstitutionnalité de la loi qui omet de mentionner les dépôts dans la liste des lieux visitables, et introduit une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Le Conseil constitutionnel doit donc se prononcer sur cette question après renvoi accepté par le Conseil d'État.

Des cachots dans l'ombre de la Loi pour la confiance en l'institution judiciaire

L’avocate invoque une restriction des droits constitutionnels par la Loi pour la confiance en l'institution judiciaire du 24 décembre 2021. En effet, le législateur y limite les établissements fermés visitables par les bâtonniers qui établissent des rapports de leurs visites servant à faire cesser les atteintes à la dignité humaine. Les droits des personnes privées de liberté dans les dépôts sont donc différenciés de ceux des personnes placées dans les autres lieux fermés concernant la preuve de leurs conditions de détention. Lors de leurs plaidoiries devant le Conseil constitutionnel, les avocats ont unanimement invoqué une rupture d'égalité des citoyens devant la loi selon le lieu où ils se trouvent enfermés. Maître Mathonnet, avocat au Conseil d'État, soutient que ce droit de visite des dépôts attribué aux bâtonniers ne peut pas être oublié par le législateur qui n'a pas à restreindre un principe constitutionnel, celui de la sauvegarde de la dignité humaine. Benoît Camguilhem, chargé de mission des questions constitutionnelles pour le Gouvernement répond qu'une autorisation de visiter certains lieux ne signifie pas une interdiction d'en visiter d'autres. Le Palais de justice de Lille a accepté une visite du bâtonnier en 2023.

Le contrôle permanent des lieux de privation de liberté est confié au Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) qui formule ses propositions aux deux assemblées parlementaires. Députés et sénateurs, peuvent aussi effectuer des visites inopinées. Les bâtonniers et leurs délégués étaient exclus de ce droit jusqu'en 2021. Puis, leurs rôles de lanceurs d'alerte sur les conditions de détention a été pris en compte par le législateur. Il leur a ouvert un droit de visite d'une part, mais il l’a restreint d'autre part à certains lieux seulement. Alors même que les avocats sont concernés par la défense des personnes détenues ou retenues, le texte ne mentionne pas, en effet, les geôles du dépôt, les véhicules de transfert de détenus ou encore les postes de la police aux frontières.

Le guide du Conseil national des barreaux édité en octobre 2022 soulignait que ces lieux « ne sont pas expressément visés » par l'article 719 du code de procédure pénale. Le CNB plaide pour un élargissement de l'accès aux dépôts parce que certains d’entre eux comprennent une zone de rétention administrative, comme à la souricière du palais de justice de Paris, et que les bâtonniers peuvent déjà visiter les centres de rétention administrative. Le Comité de prévention de la torture considère que les geôles sont des lieux faisant partie intégrante des établissements pénitentiaires (que les bâtonniers peuvent aussi visiter), constituant leurs prolongements par transit des personnes détenues.

Des rapports faisant état de conditions dégradantes

Dans certains dépôts, le Contrôleur général a remarqué que l'atmosphère était irrespirable à cause des fortes odeurs et du manque de ventilation. Les personnes peuvent être détenues dans ces lieux pendant 20 heures. Les toilettes des cellules dans lesquelles les mis en cause attendent avant leurs fouilles sont visibles par tous, à commencer par les agents qui les escortent.

Amar Benmohamed, policier, a dénoncé les mauvais traitements infligés par ses collègues à la souricière au tribunal judiciaire de Paris en 2020. Le CGLPL a publié plusieurs rapports suite à ses visites des dépôts. Les personnes en attente de jugement sont souvent laissées à la merci d'une acceptation par leurs escortes d'aller aux sanitaires. Parfois, le papier toilette n'est disponible que sur demande (tribunal de Guéret). Lors d'une visite acceptée au palais de justice de Lille, le bâtonnier rapporte l’absence de papier toilette, et pire, des excréments dans plusieurs cellules. Pour l'heure, le ministère de la Justice ne communique aucun chiffre sur le nombre de personnes détenues dans ces conditions. Ces faits demeurent cachées au public. Les seules personnes qui accèdent régulièrement à ces sous-sols sont les policiers d'escorte eux-mêmes, les magistrats et les avocats dans le cadre d'une défense.

Le Conseil constitutionnel entend faire cesser toutes conditions indignes en garde-à-vue en permettant aux avocats de saisir immédiatement le Procureur de la République depuis sa réponse à une autre QPC du 16 avril 2021. Cette même année, les sages considérait qu'il revient au législateur de s'assurer que les personnes condamnées puissent saisir le juge en cas de détention contraire à la dignité humaine pour qu'il y mette un terme (QPC 2021-898). Rien ne justifie, selon les avocats porteurs du recours, qu'il n'en soit pas de même avec tous les lieux de privation de liberté y compris les geôles. Benoît Camguilhem rappelle que le dépôt est sous la responsabilité exclusive de l'autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles, et non de la police ou de l'administration pénitentiaire. Les conditions de détention ne peuvent porter atteinte à la dignité humaine puisque ce sont les magistrats eux-mêmes qui la garantisse, malgré la réalité des conditions remontée par le CGLPL.

Cependant, les rapports qui font suite à leurs visites sont les seuls moyens de preuve dont disposent les avocats de la défense lorsqu'ils demandent la cessation des mauvais traitements en cellule. C'est aussi comme lanceurs d'alertes que les bâtonniers, en tant que représentants locaux des avocats, ont un rôle essentiel à jouer, comme ils le font déjà pour les établissements pénitentiaires et les locaux de garde à vue. Élargir leur droit de visite aux dépôts participerait à une amélioration des conditions de détention en constituant « un droit complémentaire et non redondant à celui du Contrôleur général » selon Thierry Lyon-Caen, président du conseil de l’Ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation

Un regard des bâtonniers complémentaire à celui du Contrôleur général

Le rôle du bâtonnier est de constater les conditions d'enfermement en direct avant que la personne ne soit transférée ou libérée. Tous les recours engagés en 2024 par les bâtonniers ont abouti à l'amélioration des conditions de détention, mais ils ne concernaient pas les geôles n'ayant pu être visitées sauf à Lille. Maître Spinosi, avocat représentant l'Observatoire international des prisons et la Ligue des droits de l'Homme rappelle que les travaux parlementaires évoquent la nécessité du contrôle régulier des lieux de privation de liberté notamment par les bâtonniers. Il s'agirait donc, selon lui, d'un oubli du législateur qui souhaite un alignement du pouvoir des bâtonniers sur chacun des lieux de privation de liberté.

Dominique Simonnot, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, interrogée par le JSS a bien voulu nous éclairer sur les différents droits de visite. « La loi du 30 octobre 2007 - loi instituant le CGLPL - dispose que ''Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut visiter à tout moment, sur le territoire de la République, tout lieu où des personnes sont privées de leur liberté par décision d'une autorité publique, ainsi que tout établissement de santé habilité à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement […]''. » Le CGLPL n’est donc pas confronté à des difficultés d’accès aux geôles car, à la différence des parlementaires et bâtonniers, le champ de sa compétence n’est pas fixé selon une liste de lieux déterminés. Le Contrôleur général, avant que la loi n'en dispose, prônait déjà une ouverture du droit de visite aux bâtonniers. « Le CGLPL s’était félicité en 2021 de la création d’un droit de visite des bâtonniers dans les lieux d’enfermement, l'ayant toujours appuyé et recommandé. Le CGLPL a accompagné les institutions représentatives des barreaux français dans l’élaboration de leur guide de visite et a souligné le dynamisme avec lequel les avocats se sont engagés dans ces nouvelles missions. Les contrôles du CGLPL et les visites des bâtonniers sont de natures différentes mais très complémentaires, les observations de chacun viennent enrichir le travail des autres. » 2 ans après l'adoption du texte, le CNB accusait déjà des restrictions à ce droit de visite.

Le législateur est-il allé suffisamment loin dans l'écriture de la loi ou aurait-il dû mentionner le dépôt comme lieu visitable par les bâtonniers ? « Le CGLPL avait d’ailleurs recommandé que ce droit de visite soit étendu aux établissements de santé mentale accueillant des patients en soins sans consentement, en toute logique nous sommes favorables à ce que ce droit soit également étendu aux geôles et dépôts de tribunaux. » conclut Dominique Simonnot.

Antonio Desserre

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