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Affaire Bétharram : les députés se penchent sur d’éventuels manquements de l’Inspection générale de l’éducation

Affaire Bétharram : les députés se penchent sur d’éventuels manquements de l’Inspection générale de l’éducation
Lestelle-Bétharram où auraient eu lieu les faits, dans les Pyrénées-Atlantiques.
Publié le 10/04/2025 à 09:40

Quelques mois après les révélations des violences physiques et sexuelles à Notre-Dame de Bétharram, la commission d’enquête parlementaire a auditionné, mardi 8 avril, la direction de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR). Jusqu’à présent, aucun ministre n’a saisi cette instance pour cet établissement. Or, seuls le Premier ministre, les ministres de l'Éducation nationale ou de l’Enseignement supérieur en ont le pouvoir.

Pourquoi aucune enquête de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) n’a jamais été menée pour faire la lumière sur l’établissement Bétharram, mis en cause pour de nombreuses violences depuis plus de quatre décennies ? La question des députés est restée sans réponse claire. Dominique Marchand, récemment nommée à la tête de l’IGESR, n’a pas apporté d’éléments nouveaux.

Le fonctionnement même de l’institution soulève de nombreuses interrogations. La semaine dernière, la commission des affaires culturelles a entendu plusieurs responsables du ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce 8 avril, la présidente, Fatiha Keloua Hachi (Socialistes et apparentés), accompagnée des rapporteurs, Paul Vannier (LFI) et Violette Spillebout (Renaissance), s’est attachée à décrypter les critères, méthodes et marges de manœuvre de cette inspection, considérée comme l’organe de contrôle le plus élevé de l’administration scolaire.

Dominique Marchand commence par une présentation générale de l’instance, issue de la fusion des inspections de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur, de la Jeunesse et des Sports et des Bibliothèques. « Nous avons trois axes de travail : l’évaluation des politiques publiques, l’appui et l’accompagnement d’établissements ainsi que l’inspection et le contrôle », précise-t-elle. 

Saisine ministérielle

Ainsi, en 2024, l’IGESR a évalué un établissement privé sous contrat. Cristelle Gillard, cheffe du pôle affaires juridiques et contrôle, rappelle que l’instance a aussi mené « des enquêtes administratives pouvant aboutir à des poursuites disciplinaires, dans sept établissements scolaires, tous publics. »

Si le contrôle veille à la régularité des actes au regard des prescriptions législatives et réglementaires, l’enquête administrative, elle, est saisie après des signalements précis ou des situations de maltraitances. Le décret du 23 décembre 2022 définit les modes opératoires de l’institution. « La saisine est nécessairement réalisée par les ministères concernés. Les rapports de faits sont remis aux commanditaires et c’est à ceux de mettre en place les recommandations formulées, et de les rendre publiques ou non », confirme Dominique Marchand.

« Qu’est-ce qui pousse un ministre à vous saisir ? » interroge le député et rapporteur, Paul Vannier. La directrice énumère les critères, non cumulatifs : « La gravité, la nécessité d’une externalisation, le niveau de responsabilité de l’intéressé, la médiatisation du sujet et les ressources disponibles dans l’académie pour mener une investigation, souvent complexe et délicate. »

Autre point d’interrogation majeur : Bétharram constitue-t-elle une faute politique ? Entendue le 31 mars, Caroline Pascal, ancienne responsable de l’IGESR de 2019 à 2024, a affirmé devant les députés : « Le déclenchement de l’Inspection générale est le signe d’une volonté politique forte ou de la gravité de la situation à laquelle le ministère est confronté. » Son actuelle directrice s’en défend pourtant : « Je n’aurais pas employé ce terme, ce sont des saisines ministérielles, et non politiques, qui motivent nos interventions. »

A tour de rôle, rapporteurs et députés membres de la commission d’enquête questionnent : pourquoi l’inspection n’a pas été saisie sur le cas Bétharram ? Bien qu’au moins quatre des cinq critères cités soient réunis, les responsables bottent en touche. Dominique Marchand a cette formulation : « Il s’agissait d’un contrôle, au regard des textes réglementaires, et non pas d’une enquête administrative. Les équipes académiques sont compétentes sur ce sujet sans déclencher l’inspection générale. »

Contrôle ou enquête ?

Au fur et à mesure des questions, la distinction fondamentale entre enquête administrative et contrôle se dessine. Cristelle Gillard détaille : « Le contrôle doit vérifier la conformité tandis que l’enquête s'appuie sur des auditions individuelles avec un recueil de témoignages et des procès-verbaux. La première procédure est donc plus légère en termes de rigueur méthodologique, il s’agit de répondre à des critères définis. » De plus, seule l’enquête administrative est susceptible de poursuites disciplinaires ; elle peut également être transmise aux services judiciaires compétents dans un second temps. Il s’agit donc d’« analyser objectivement des faits pour en établir leur matérialité », confirme la cheffe du pôle affaires juridiques et contrôle.

Là encore, les rapporteurs tentent de démêler le vrai du faux en évoquant leur visite à Bétharram et au rectorat de Bordeaux. « Nous avons la certitude qu’il y a eu 45 auditions a minima d’élèves et de parents qui ont été prévues dans le cadre du contrôle conduit par des inspecteurs d’académie. La mission à Notre-Dame correspond aux critères de l’enquête administrative par sa rigueur affichée et ses procès-verbaux. » Face à eux, l’équipe dirigeante de l’IGESR soutient le caractère unique de contrôle dans cette affaire.

« Tirer tous les fils » : la méthodologie examinée

« Le travail dure en moyenne huit semaines, avec un temps en amont de récolte et vérification de documents, puis 10 jours d’auditions individuelles d’une à trois heures sur place », défend Cristelle Gillard. À cette méthodologie employée par les inspecteurs, il faut encore ajouter la rédaction d’un rapport provisoire, validé par les personnes concernées et identifiées.

L’élément central de ces procédures réside dans les entretiens confidentiels entre les inspecteurs et les auditionnés. Dominique Marchand insiste sur la nécessité de « tirer tous les fils » et « écouter toutes les personnes utiles au dossier. » Pour cela, un tirage au sort est effectué parmi les classes des établissements scolaires, puis un appel à témoignages est transmis à l’ensemble du collège ou du lycée.

Le cas du collège Stanislas

Un autre cas emblématique illustre ces enjeux : celui du collège Stanislas. En juillet 2023, le rapport d’enquête administrative sur cet établissement a été révélé par Mediapart. Pourtant, ce document est censé n’être disponible que pour les commanditaires. L’affaire permet de mieux éclairer le fonctionnement de l’IGESR. Saisi par le ministère de l’Education nationale à la suite de deux articles évoquant un certain nombre de faits, l’inspection générale a mené des investigations sur plusieurs semaines.

Cependant, le résultat questionne les députés. Paul Vannier cite par exemple les 17 % des cas de violences homophobes, qui ont été remontés par les élèves et les parents, et retranscrits dans les procès-verbaux. Dans le rapport final, une phrase statue sur « la favorisation d’un climat de rejet de l’homosexualité, par voie de conséquence propice à un risque d’homophobie. »

Les élus interrogent donc les deux responsables sur la contradiction entre les auditions et le document final transmis au ministre. Mais les deux femmes maintiennent que le rapport décrit « avec précision et détails » les violences, y compris homophobes. La directrice explique que son inspection a « essayé d’avoir une vision la plus objective possible », tout en précisant n’avoir eu connaissance du rapport qu’à sa nomination quelques mois auparavant.

« Je n’ai jamais entendu parler de Bétharram »

La présidente de la commission s’emporte : « J’aimerais souligner le caractère ubuesque de la situation. L’ancienne inspectrice générale nous répond qu’elle n’est plus en fonction et ne peut nous répondre, tandis que vous dites que vous êtes arrivées trop récemment pour y répondre. » Pour les responsables, seuls les inspecteurs en charge pourront répondre à ces questions précises.

Aucune mesure administrative ou judiciaire n’a été prise à Stanislas après le travail de l’IGESR. A l’inverse, le lycée privé musulman Averroès à Lille a vu son contrat avec l’Etat résilié après un rapport sans éléments probants, dénoncent les parlementaires. Face à ce « deux poids, deux mesures » pointé par Paul Vannier, Dominique Marchand insiste sur le fait qu’une « enquête administrative est découpée d’une enquête judiciaire. Ce sont deux temps et deux sanctions différents. »

Cristelle Gillard conclut en précisant qu’entre 2022 et 2025, 43 rapports ont permis l’activation d’un article 40 du Code de procédure pénale. « La matérialité des faits a permis de qualifier une infraction pénale, généralement pour outrage sexiste aggravé ou harcèlement moral. »

Toutefois, pour l’école des Pyrénées-Atlantiques, Dominique Marchand l’assure : « Je suis en poste dans cette inspection depuis 2005, mais je n’ai jamais entendu parler de Bétharram. Aucun signalement n’a été fait. » Les auditions de la commission d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires se poursuivent dans les prochaines semaines.

Marie-Agnès Laffougère

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