Quelques mois après les révélations des violences
physiques et sexuelles à Notre-Dame de Bétharram, la commission d’enquête
parlementaire a auditionné, mardi 8 avril, la direction de l’Inspection
générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR). Jusqu’à présent,
aucun ministre n’a saisi cette instance pour cet établissement. Or, seuls le
Premier ministre, les ministres de l'Éducation nationale ou de l’Enseignement
supérieur en ont le pouvoir.
Pourquoi aucune
enquête de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche
(IGESR) n’a jamais été menée pour faire la lumière sur l’établissement
Bétharram, mis en cause pour de nombreuses violences depuis plus de quatre
décennies ? La question des députés est restée sans réponse claire. Dominique
Marchand, récemment nommée à la tête de l’IGESR, n’a pas apporté d’éléments
nouveaux.
Le fonctionnement même de l’institution soulève de
nombreuses interrogations. La semaine dernière, la commission des affaires
culturelles a entendu plusieurs responsables du ministère de l’Éducation
nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce 8 avril, la
présidente, Fatiha Keloua Hachi (Socialistes et apparentés), accompagnée des
rapporteurs, Paul Vannier (LFI) et Violette Spillebout (Renaissance), s’est
attachée à décrypter les critères, méthodes et marges de manœuvre de cette
inspection, considérée comme l’organe de contrôle le plus élevé de
l’administration scolaire.
Dominique Marchand commence par une présentation
générale de l’instance, issue de la fusion des inspections de l’Éducation
nationale, de l’Enseignement supérieur, de la Jeunesse et des Sports et des
Bibliothèques. « Nous avons trois axes de
travail : l’évaluation des politiques publiques, l’appui et l’accompagnement
d’établissements ainsi que l’inspection et le contrôle »,
précise-t-elle.
Saisine ministérielle
Ainsi, en 2024, l’IGESR a évalué un établissement privé
sous contrat. Cristelle Gillard, cheffe du pôle affaires juridiques et
contrôle, rappelle que l’instance a aussi mené « des enquêtes administratives pouvant aboutir à des poursuites
disciplinaires, dans sept établissements scolaires, tous publics. »
Si le contrôle veille à la régularité des actes au regard
des prescriptions législatives et réglementaires, l’enquête administrative,
elle, est saisie après des signalements précis ou des situations de
maltraitances. Le décret du 23 décembre 2022 définit les modes opératoires de
l’institution. « La saisine est
nécessairement réalisée par les ministères concernés. Les rapports de faits
sont remis aux commanditaires et c’est à ceux de mettre en place les
recommandations formulées, et de les rendre publiques ou non », confirme
Dominique Marchand.
« Qu’est-ce qui
pousse un ministre à vous saisir ? » interroge le député et rapporteur,
Paul Vannier. La directrice énumère les critères, non cumulatifs : « La gravité, la nécessité d’une
externalisation, le niveau de responsabilité de l’intéressé, la médiatisation
du sujet et les ressources disponibles dans l’académie pour mener une
investigation, souvent complexe et délicate. »
Autre point d’interrogation majeur : Bétharram
constitue-t-elle une faute politique ? Entendue le 31 mars, Caroline Pascal,
ancienne responsable de l’IGESR de 2019 à 2024, a affirmé devant les députés :
« Le déclenchement de l’Inspection
générale est le signe d’une volonté politique forte ou de la gravité de la
situation à laquelle le ministère est confronté. » Son actuelle directrice
s’en défend pourtant : « Je n’aurais pas
employé ce terme, ce sont des saisines ministérielles, et non politiques, qui
motivent nos interventions. »
A tour de rôle, rapporteurs et députés membres de la
commission d’enquête questionnent : pourquoi l’inspection n’a pas été
saisie sur le cas Bétharram ? Bien qu’au moins quatre des cinq critères
cités soient réunis, les responsables bottent en touche. Dominique Marchand
a cette formulation : « Il s’agissait d’un contrôle, au regard des textes réglementaires, et
non pas d’une enquête administrative. Les équipes académiques sont compétentes
sur ce sujet sans déclencher l’inspection générale. »
Contrôle ou enquête ?
Au fur et à mesure des questions, la distinction
fondamentale entre enquête administrative et contrôle se dessine. Cristelle
Gillard détaille : « Le contrôle doit
vérifier la conformité tandis que l’enquête s'appuie sur des auditions
individuelles avec un recueil de témoignages et des procès-verbaux. La première
procédure est donc plus légère en termes de rigueur méthodologique, il s’agit
de répondre à des critères définis. » De plus, seule l’enquête
administrative est susceptible de poursuites disciplinaires ; elle peut
également être transmise aux services judiciaires compétents dans un second
temps. Il s’agit donc d’« analyser
objectivement des faits pour en établir leur matérialité », confirme la
cheffe du pôle affaires juridiques et contrôle.
Là encore, les rapporteurs tentent de démêler le vrai du
faux en évoquant leur visite à Bétharram et au rectorat de Bordeaux. «
Nous avons la certitude qu’il y a eu 45 auditions a minima d’élèves et de
parents qui ont été prévues dans le cadre du contrôle conduit par des
inspecteurs d’académie. La mission à Notre-Dame correspond aux critères de
l’enquête administrative par sa rigueur affichée et ses procès-verbaux. »
Face à eux, l’équipe dirigeante de l’IGESR soutient le caractère
unique de contrôle dans cette affaire.
« Tirer tous les fils » :
la méthodologie examinée
« Le travail dure en moyenne huit semaines,
avec un temps en amont de récolte et vérification de documents, puis 10 jours d’auditions
individuelles d’une à trois heures sur place », défend Cristelle Gillard. À cette méthodologie employée
par les inspecteurs, il faut encore ajouter la rédaction d’un rapport
provisoire, validé par les personnes concernées et identifiées.
L’élément central de ces procédures réside dans les
entretiens confidentiels entre les inspecteurs et les auditionnés. Dominique
Marchand insiste sur la nécessité de «
tirer tous les fils » et « écouter toutes les
personnes utiles au dossier. » Pour cela, un tirage au sort est effectué
parmi les classes des établissements scolaires, puis un appel à témoignages est
transmis à l’ensemble du collège ou du lycée.
Le cas du collège Stanislas
Un autre cas emblématique illustre ces enjeux : celui du
collège Stanislas. En juillet 2023, le rapport d’enquête administrative sur cet
établissement a été révélé par Mediapart.
Pourtant, ce document est censé n’être disponible que pour les commanditaires.
L’affaire permet de mieux éclairer le fonctionnement de l’IGESR. Saisi par le
ministère de l’Education nationale à la suite de deux articles évoquant un
certain nombre de faits, l’inspection générale a mené des investigations sur
plusieurs semaines.
Cependant, le résultat questionne les députés. Paul
Vannier cite par exemple les 17 % des cas de violences homophobes, qui ont été
remontés par les élèves et les parents, et retranscrits dans les
procès-verbaux. Dans le rapport final, une phrase statue sur «
la favorisation d’un climat de rejet de l’homosexualité, par voie de
conséquence propice à un risque d’homophobie. »
Les élus interrogent donc les deux responsables sur la
contradiction entre les auditions et le document final transmis au ministre.
Mais les deux femmes maintiennent que le rapport décrit « avec précision et
détails » les violences, y compris homophobes. La directrice explique que
son inspection a « essayé d’avoir une vision la plus objective
possible », tout en précisant n’avoir eu connaissance du rapport qu’à sa
nomination quelques mois auparavant.
« Je n’ai jamais entendu parler
de Bétharram »
La présidente de la commission s’emporte : «
J’aimerais souligner le caractère ubuesque de la situation. L’ancienne
inspectrice générale nous répond qu’elle n’est plus en fonction et ne peut nous
répondre, tandis que vous dites que vous êtes arrivées trop récemment pour y
répondre. » Pour les responsables, seuls les inspecteurs en charge pourront
répondre à ces questions précises.
Aucune mesure administrative ou judiciaire n’a été prise à
Stanislas après le travail de l’IGESR. A l’inverse, le lycée privé musulman
Averroès à Lille a vu son contrat avec l’Etat résilié après un rapport sans
éléments probants, dénoncent les parlementaires. Face à ce «
deux poids, deux mesures » pointé par Paul Vannier, Dominique Marchand
insiste sur le fait qu’une « enquête administrative est découpée d’une
enquête judiciaire. Ce sont deux temps et deux sanctions différents. »
Cristelle Gillard conclut en précisant qu’entre 2022 et
2025, 43 rapports ont permis l’activation d’un article 40 du Code de procédure
pénale. « La matérialité des faits a
permis de qualifier une infraction pénale, généralement pour outrage sexiste
aggravé ou harcèlement moral. »
Toutefois, pour l’école des Pyrénées-Atlantiques,
Dominique Marchand l’assure : « Je suis
en poste dans cette inspection depuis 2005, mais je n’ai jamais entendu parler
de Bétharram. Aucun signalement n’a été fait. » Les auditions de la commission
d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des
violences dans les établissements scolaires se poursuivent dans les prochaines semaines.
Marie-Agnès Laffougère