DROIT

Escroqueries bancaires : oui, en principe les banques doivent rembourser leurs clients… mais pas toujours

Escroqueries bancaires :  oui, en principe les banques doivent rembourser leurs clients… mais pas toujours
Publié le 10/04/2025 à 15:31

COMMENTAIRE. C’est ce que la Cour de cassation a rappelé récemment, dans deux arrêts où elle apporte des précisions sur les conditions de ce remboursement. En effet, les banques sont déchargées de cette obligation en cas de négligence grave par le client, ou si l’ordre de paiement a été exécuté conformément à l’identifiant unique fourni par ce dernier.

Hameçonnage, fraude sentimentale, escroquerie par faux conseiller… Ces pratiques ne sont que quelques exemples parmi une multitude de fraudes bancaires qui, selon la Banque de France, ont généré 484,6 millions d'euros de pertes au premier semestre 2024.

Ces fraudes ne cessent de se diversifier et de se sophistiquer, rendant leur détection de plus en plus complexe pour les utilisateurs. À ce sujet, la Cour de cassation a apporté des précisions dans deux arrêts rendus par la chambre commerciale le 15 janvier 2025[1].

Dans la première affaire, une société contestait avoir autorisé six virements bancaires, qui avaient été effectués depuis l'ordinateur de son comptable en faveur d'un bénéficiaire inconnu. Une expertise avait révélé qu'un escroc, après avoir envoyé un courriel contenant un « cheval de Troie », avait pu infecter son système informatique. L'escroc avait alors pris le contrôle de l'ordinateur du comptable pour émettre les virements.

Dans l’autre affaire, un acquéreur ayant transmis électroniquement à sa banque l’identifiant unique fourni par le vendeur d’un véhicule et ayant ordonné un paiement, avait constaté que ce dernier n’avait pas reçu les fonds. Une enquête avait révélé qu'un tiers avait, auparavant, piraté la messagerie du payeur et substitué l'identifiant unique du vendeur pour détourner les fonds.

Par ces deux arrêts, la Cour de cassation a retenu que le régime de responsabilité établi aux articles L. 133-18 à L. 133-24 du Code monétaire et financier est exclusif du régime de responsabilité contractuelle de droit commun.

Absence de cumul des responsabilités

Dans ces deux affaires, la Cour de cassation a exclu le cumul des responsabilités à la charge du prestataire de services en cas de fraude ou d’opération de paiement mal exécutée.

Elle rappelle que, dans la mesure où les dispositions du Code monétaire et financier sont applicables, et notamment les articles L. 133-18 à L. 133-24, la responsabilité contractuelle de droit commun résultant de l’article 1231-1 du Code civil est écartée, en raison d'un régime de responsabilité exclusif.

Cette solution s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la CJUE, notamment depuis son arrêt Beobank du 16 mars 2023[2] qui a posé ce principe et a été suivie par la Cour de cassation dans son arrêt du 27 mars 2024[3].

Ce régime séduira les mathématiciens en raison de sa nature binaire : par principe, la banque doit rembourser les victimes d’escroquerie. Par exception, la banque est déchargée de cette obligation en cas de négligence grave par l’utilisateur ou d’ordre de paiement exécuté conformément à l’identifiant unique fourni par ce dernier. Un partage des responsabilités n’est donc pas envisageable.

Dès lors, dans ces situations exceptionnelles, le manquement à l’obligation de vigilance de la banque ne peut conduire à un partage des responsabilités, à l’inverse de ce que soutenait la cour d’appel. Par exemple, la négligence grave de l’utilisateur dispense la banque de tout remboursement, alors même que la banque n’avait pas pris en compte la situation manifestement anormale résultant des alertes diffusées par le centre d'alerte et de réaction aux attaques informatiques et la centaine de tentatives infructueuses de connexion au système transbred à partir des postes informatiques de la société.

Pour autant, si ce régime se veut plus protecteur pour l’utilisateur de services de paiement, cette solution montre également ses limites face à l’évolution rapide et très sophistiquée des fraudes bancaires.

Vers une multiplication des contentieux ?

Concernant l’opération d’hameçonnage dont a été victime la première société, il ressort de la décision que la responsabilité de la banque ne pouvait être engagée en raison de la négligence grave de l’utilisateur des services de paiement.

Or, bien que le cadre européen impose à la banque la difficile charge de la preuve d’une négligence grave[4], l’évolution constante des contours de cette notion, laissée à l’appréciation des juges, pourrait affaiblir ce régime et entraîner une multiplication des contentieux à mesure que de nouvelles formes d’escroquerie émergent.

S’agissant cette fois de l’opération de paiement mal exécutée, la Cour a estimé, sur la base de l’article L. 133-21 du Code monétaire et financier, qu’un ordre de paiement exécuté conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par cet identifiant.

En l’espèce, l’ordre avait été exécuté alors que l’utilisateur avait fourni un identifiant erroné. Dans ce contexte, il est plus difficile de concevoir la responsabilité de l’utilisateur, en ce qu’il n’a pas eu de rôle actif dans la fraude, à la différence d’un cas de négligence grave.

Par ailleurs, la Cour de cassation, dans une décision du 1er juin 2023[5], avait établi que pour qu’une opération soit considérée comme étant autorisée, l’utilisateur devait également avoir consenti au bénéficiaire, sans distinguer entre un ordre de virement falsifié dès le départ ou un ordre modifié par la suite. En conséquence, la banque devait procéder au remboursement de l’opération dans ce cas, en application de l’article L. 133-18 du Code monétaire et financier.

Dès lors, la responsabilité de la banque ne pourrait-elle pas être engagée sur le même fondement, à savoir celui de l’opération non autorisée ? La distinction entre les deux situations est ténue. Dans cette affaire, l’identifiant unique a été modifié avant que l’utilisateur ne donne son ordre de paiement, ce qui a conduit à la transmission d’un identifiant erroné.

En revanche, dans la décision précitée du 1er juin 2023, la modification de l’identifiant avait eu lieu après l’autorisation initiale de l’utilisateur. Cette nuance pourrait expliquer les solutions divergentes. Cependant, la solution retenue dans cette affaire paraît particulièrement sévère pour la victime, dans la mesure où celle-ci n’a manifestement pas donné son consentement pour une opération erronée et difficilement détectable.

L’entrée prochaine en vigueur de la directive DSP3, imposant aux banques de vérifier la correspondance entre l’identifiant unique et le nom du bénéficiaire, sera la bienvenue pour améliorer la sécurité des paiements.

Héloïse Bitz,

étudiante au sein du Master 214 Droit des affaires, Université Paris Dauphine- PSL.

(Commentaire d’arrêt rédigé sous la direction du Professeur Renaud Salomon)




[1] Cass, com, 15 janvier 2025, n°23-13.579 et Cass, com, 15 janvier 2025, n°23-15.437.

[2] CJUE, ZG contre Beobank SA, 16 mars 2023, n° C-351/21

[3] Cass, com, 27 mars 2024, n°22-21.200

[4] Cass, com, 20 novembre 2024, n°23-15.099

[5] Cass, Com, 1 juin 2023, n°21-19.289 et n°21-21.831

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