Après
avoir récemment conquis les prétoires sous la bannière des chiens d’assistance judiciaire,
nos compagnons à quatre pattes s’apprêtent à franchir une nouvelle étape. L’association
« Les chiens de justice » œuvre pour que la médiation animale dépasse le cadre
des tribunaux et s’invite dans les cabinets pour épauler les avocats au
quotidien. Une initiative pionnière en Europe.
Et si
votre plus fidèle compagnon devenait aussi votre meilleur associé ? C’est le
projet un brin insolite porté par Caroline Scamps, avocate chevronnée en
contentieux des affaires et intervenante en médiation animale. Son objectif ? Former
des « chiens de famille » à la médiation animale, capables d’apaiser, créer du
lien et d’accompagner leur maître-avocat dans l’exercice de leur profession.
Loin
d’être une lubie, l’idée s’inspire des chiens d’assistance judiciaire déployés depuis
plus d’une décennie aux États-Unis, où des labradors et des golden retrievers, avec
leur regard tendre et leur présence rassurante, soutiennent les victimes lors
d’auditions et de procès.
« J’avais
déjà remarqué à quel point un chien pouvait détendre l’atmosphère dans un lieu
professionnel et fluidifier les échanges, notamment avec les clients »,
raconte l’avocate, qui a toujours grandi et travaillé entourée d’animaux. Puis
arrive la pandémie. L’idée mûrit, se nourrit de recherches, et finit par
prendre forme lorsqu’elle découvre les initiatives menées outre-Atlantique et
le programme pilote lancé en 2019 à Cahors avec Lol, le premier chien
d’assistance judiciaire français. « J’ai pris conscience que
l’initiative existait réellement, qu’elle fonctionnait et qu’elle répondait à
un véritable besoin. Alors pourquoi ne pas l’adapter plus spécifiquement aux
avocats ? »
Formée
à la médiation animale – qu’elle pratique aux côtés de Papy, son Boston terrier
–, Caroline Scamps s’entoure de Nathalie Simon, docteure, vétérinaire comportementaliste,
éducatrice canine et philosophiæ doctor en Sciences humaines de l’éducation, pour
donner corps à son projet.

Papy et Caroline Scamps. © Jennifer Caillot Photography
En 2023, elle crée son association « Les chiens de
justice », en appui au dispositif des chiens d’assistance
judiciaire, avec une ambition claire : faire de la médiation animale un levier
d’humanisation du droit et de la justice. « Avec le Covid, les relations
humaines dans le monde judiciaire se sont effondrées. Et encore aujourd’hui, on
sent un véritable appauvrissement des échanges. Pourtant, notre métier, c’est
d’accompagner ou défendre l’humain. Les chiens, eux, peuvent aider à établir le
dialogue. »
Un
premier atelier découverte convaincant
Alors,
Médor dans le décor feutré des cabinets d’avocats, est-ce envisageable ? L’idée
a du chien. Et à en croire l’engouement autour de l’atelier découverte organisé
mi-mars par l’association, à la Maison du barreau de Paris, elle séduit. Ce
jour-là, quatorze avocats avaient répondu présent, réunis délibérément en petit
comité pour mieux sonder la profession. Parmi eux, Cloé Provost salue une « initiative
passionnante ».
« Cela permet non seulement de
renforcer le lien avec son animal, mais aussi d’affiner notre perception des
enjeux humains derrière chaque dossier », confie l’avocate en droit du
travail. Passionnée par les animaux depuis sa plus tendre enfance, elle voit
dans ce projet une opportunité de concilier l’utile à l’agréable, ainsi qu’une
méthode intelligente d’élargir et de transposer les bienfaits des chiens
d’assistance judiciaire à son échelle.
« Si
mon domaine a une approche plus pragmatique qu’humaine, la présence de mon
chien pourrait casser cette image rigide, froide et distante de l’avocat dans
son cabinet austère… À condition que le client apprécie les animaux, cela peut
créer une autre forme de proximité. L’enjeu sera d’intégrer cette formation avec
parcimonie, sans dénaturer la fonction, pour que ce soit efficient », se
projette-t-elle.
« Je choisirai les affaires où cela a du sens, sans en
faire une généralité. Un avocat doit conserver une certaine solennité, mais
bien dosée, la médiation animale peut s’avérer être un véritable atout. D’autant
que les avocats, de par leur métier, sont déjà formés à la médiation et aux
règlements extra-judiciaires. Aujourd’hui, les justiciables recherchent
justement des alternatives pour éviter d’aller jusqu’au tribunal. »
Les
chiens de justice : « des éponges émotionnelles » populaires
Par
ailleurs, la médiation animale, socle sur lequel repose le travail des chiens
d’assistance judiciaire, fait ses preuves. Surtout auprès des victimes de
violences physiques, psychiques ou sexuelles, mais aussi des enfants. La simple
présence du chien apaise, rassure, offre un cadre sécurisant. Elle soulage les
victimes, leur donne un sentiment de sécurité, les aide à reprendre confiance
en elles, à se concentrer et à libérer leur parole.
Nicolas Chareyre en
témoigne. « La connexion avec l’animal apaise. Et ainsi, les personnes
parlent davantage, cela libère vraiment la parole, et les avocats ont le même
ressenti : elle est plus fluide, plus détendue. Ce sont de véritables éponges
émotionnelles. Il est arrivé que certaines victimes parlent au chien, plutôt
qu’à moi », explique cet
ancien premier vice-président chargé de l'instruction au tribunal judiciaire de
Lyon. Qu’ils soient assistants judiciaires ou médiateurs, ces chiens jouent ainsi
le même rôle : celui de lire les émotions des humains en difficulté, de savoir
s’y adapter, et ainsi d’instaurer un climat propice au dialogue.
Preuve
que l’initiative rencontre un succès chez les acteurs du monde judiciaire, le
Conseil de l’ordre du barreau de Paris a officiellement approuvé, en sa séance
du 17 décembre dernier, le déploiement des
chiens d’assistance judiciaire dans les juridictions et services d’enquête
de la capitale. Tandis qu’en février 2023, une convention nationale avait été
signée entre le ministère de la Justice d’une part, l’association Handi’Chiens,
la Société protectrice des animaux et la Fédération France Victimes d’autre
part. Elle prévoit de généraliser la présence de chiens d’assistance judiciaire
en juridiction.
Au total, depuis 2019, 23 chiens spécialement formés par
Handi’Chiens épaulent les victimes de violences tout au long de leur parcours
judiciaire. Mais cette avancée a un coût : 17 000 euros pour 22 mois de
formation par animal. Pourquoi ne pas élargir le champ ? Intégrer les « chiens
de famille » et faciliter l’accès des avocats du barreau de Paris à la
médiation animale pourraient être un complément. Pour Cloé Provost, la question
ne se pose même plus : « La demande est telle, et les moyens du ministère de
la Justice sont tels, qu’il va bien falloir trouver des solutions… Et celle-ci
me semble pertinente. »
Une formation
personnalisée et exigeante
Mais transformer
un simple « chien de famille » en chien médiateur, capable d’évoluer aux côtés
de son référent en milieu professionnel, n’est pas une mince affaire. Et ce
n’est surtout pas qu’une question de dressage. L’association propose un
parcours individualisé de formation en petit groupe et avec les binômes
chien-maître, sur deux fois deux jours. « On va bien au-delà du simple
pet-friendly. Le chien doit avoir les aptitudes nécessaires pour rester aux
côtés de son humain sur son lieu de travail et interagir avec le public »,
explique Caroline Scamps.

Papy en intervention avec un enfant
Mais
tous ne sont pas taillés pour ce rôle. « Certaines races ont des
prédispositions, d’autres non. Rien n’est impossible, mais il faut des chiens équilibrés,
ni peureux, ni agressifs, capables de s’adapter socialement », tranche
Nathalie Simon, responsable de la formation. Une pré-sélection est d’ailleurs
prévue pour évaluer ces critères en cas de doute.
Spécialiste de la relation
homme-animal et diplômée d’une thèse sur le sujet, soutenue par la Fondation
Sommer, la doctorante insiste : « L’objectif n’est pas de formater tous
les chiens, mais d’apprendre aux maîtres à lire les signes de son propre animal
et de l’adapter à ses missions, son domaine d’intervention et son public. »
Un logiciel, EVALEHA, fruit de ses recherches et déjà appliqué à plus de 10 000
chiens, permet d’affiner ce diagnostic comportemental. Il ne donne pas de
verdict, mais éclaire sur le potentiel de chaque duo et les évolutions à mettre
en place.
Du
sur-mesure, donc, taillé pour les besoins précis des avocats. Autour de la
table de cet atelier découverte, un échantillon hétéroclite de robes noires :
pénalistes, spécialistes du droit du travail, défenseurs de la cause animale,
membres de l’antenne des mineurs du barreau de Paris ou encore experts en droit
des affaires. Un éventail large, mais une même curiosité. « Chacun y voit un
levier pour sa pratique. Mais la clé, c’est la motivation, l’organisation et,
surtout, le consentement des clients. Sans ça, la médiation ne prend pas »,
prévient Caroline Scamps.
Le mouvement est en marche. Bientôt, une première
promotion devrait voir le jour. Un premier pas pour une expérimentation
singulière, où le meilleur ami de l’homme n’est plus qu’à une patte de devenir
le plus fidèle allié du barreau.
Enzo Maisonnat