VIE DES CABINETS

Sur la trace du chien de justice, du tribunal au cabinet d'avocat

Sur la trace du chien de justice, du tribunal au cabinet d'avocat
Publié le 11/04/2025 à 07:00

Après avoir récemment conquis les prétoires sous la bannière des chiens d’assistance judiciaire, nos compagnons à quatre pattes s’apprêtent à franchir une nouvelle étape. L’association « Les chiens de justice » œuvre pour que la médiation animale dépasse le cadre des tribunaux et s’invite dans les cabinets pour épauler les avocats au quotidien. Une initiative pionnière en Europe.

Et si votre plus fidèle compagnon devenait aussi votre meilleur associé ? C’est le projet un brin insolite porté par Caroline Scamps, avocate chevronnée en contentieux des affaires et intervenante en médiation animale. Son objectif ? Former des « chiens de famille » à la médiation animale, capables d’apaiser, créer du lien et d’accompagner leur maître-avocat dans l’exercice de leur profession. 

Loin d’être une lubie, l’idée s’inspire des chiens d’assistance judiciaire déployés depuis plus d’une décennie aux États-Unis, où des labradors et des golden retrievers, avec leur regard tendre et leur présence rassurante, soutiennent les victimes lors d’auditions et de procès.

« J’avais déjà remarqué à quel point un chien pouvait détendre l’atmosphère dans un lieu professionnel et fluidifier les échanges, notamment avec les clients », raconte l’avocate, qui a toujours grandi et travaillé entourée d’animaux. Puis arrive la pandémie. L’idée mûrit, se nourrit de recherches, et finit par prendre forme lorsqu’elle découvre les initiatives menées outre-Atlantique et le programme pilote lancé en 2019 à Cahors avec Lol, le premier chien d’assistance judiciaire français. « J’ai pris conscience que l’initiative existait réellement, qu’elle fonctionnait et qu’elle répondait à un véritable besoin. Alors pourquoi ne pas l’adapter plus spécifiquement aux avocats ? »

Formée à la médiation animale – qu’elle pratique aux côtés de Papy, son Boston terrier –, Caroline Scamps s’entoure de Nathalie Simon, docteure, vétérinaire comportementaliste, éducatrice canine et philosophiæ doctor en Sciences humaines de l’éducation, pour donner corps à son projet. 


Papy et Caroline Scamps. 
© Jennifer Caillot Photography

En 2023, elle crée son association « Les chiens de justice », en appui au dispositif des chiens d’assistance judiciaire, avec une ambition claire : faire de la médiation animale un levier d’humanisation du droit et de la justice. « Avec le Covid, les relations humaines dans le monde judiciaire se sont effondrées. Et encore aujourd’hui, on sent un véritable appauvrissement des échanges. Pourtant, notre métier, c’est d’accompagner ou défendre l’humain. Les chiens, eux, peuvent aider à établir le dialogue. »

Un premier atelier découverte convaincant

Alors, Médor dans le décor feutré des cabinets d’avocats, est-ce envisageable ? L’idée a du chien. Et à en croire l’engouement autour de l’atelier découverte organisé mi-mars par l’association, à la Maison du barreau de Paris, elle séduit. Ce jour-là, quatorze avocats avaient répondu présent, réunis délibérément en petit comité pour mieux sonder la profession. Parmi eux, Cloé Provost salue une « initiative passionnante ». 

« Cela permet non seulement de renforcer le lien avec son animal, mais aussi d’affiner notre perception des enjeux humains derrière chaque dossier », confie l’avocate en droit du travail. Passionnée par les animaux depuis sa plus tendre enfance, elle voit dans ce projet une opportunité de concilier l’utile à l’agréable, ainsi qu’une méthode intelligente d’élargir et de transposer les bienfaits des chiens d’assistance judiciaire à son échelle.

« Si mon domaine a une approche plus pragmatique qu’humaine, la présence de mon chien pourrait casser cette image rigide, froide et distante de l’avocat dans son cabinet austère… À condition que le client apprécie les animaux, cela peut créer une autre forme de proximité. L’enjeu sera d’intégrer cette formation avec parcimonie, sans dénaturer la fonction, pour que ce soit efficient », se projette-t-elle

« Je choisirai les affaires où cela a du sens, sans en faire une généralité. Un avocat doit conserver une certaine solennité, mais bien dosée, la médiation animale peut s’avérer être un véritable atout. D’autant que les avocats, de par leur métier, sont déjà formés à la médiation et aux règlements extra-judiciaires. Aujourd’hui, les justiciables recherchent justement des alternatives pour éviter d’aller jusqu’au tribunal. »

Les chiens de justice : « des éponges émotionnelles » populaires

Par ailleurs, la médiation animale, socle sur lequel repose le travail des chiens d’assistance judiciaire, fait ses preuves. Surtout auprès des victimes de violences physiques, psychiques ou sexuelles, mais aussi des enfants. La simple présence du chien apaise, rassure, offre un cadre sécurisant. Elle soulage les victimes, leur donne un sentiment de sécurité, les aide à reprendre confiance en elles, à se concentrer et à libérer leur parole. 

Nicolas Chareyre en témoigne. « La connexion avec l’animal apaise. Et ainsi, les personnes parlent davantage, cela libère vraiment la parole, et les avocats ont le même ressenti : elle est plus fluide, plus détendue. Ce sont de véritables éponges émotionnelles. Il est arrivé que certaines victimes parlent au chien, plutôt qu’à moi », explique cet ancien premier vice-président chargé de l'instruction au tribunal judiciaire de Lyon. Qu’ils soient assistants judiciaires ou médiateurs, ces chiens jouent ainsi le même rôle : celui de lire les émotions des humains en difficulté, de savoir s’y adapter, et ainsi d’instaurer un climat propice au dialogue.

Preuve que l’initiative rencontre un succès chez les acteurs du monde judiciaire, le Conseil de l’ordre du barreau de Paris a officiellement approuvé, en sa séance du 17 décembre dernier, le déploiement des chiens d’assistance judiciaire dans les juridictions et services d’enquête de la capitale. Tandis qu’en février 2023, une convention nationale avait été signée entre le ministère de la Justice d’une part, l’association Handi’Chiens, la Société protectrice des animaux et la Fédération France Victimes d’autre part. Elle prévoit de généraliser la présence de chiens d’assistance judiciaire en juridiction. 

Au total, depuis 2019, 23 chiens spécialement formés par Handi’Chiens épaulent les victimes de violences tout au long de leur parcours judiciaire. Mais cette avancée a un coût : 17 000 euros pour 22 mois de formation par animal. Pourquoi ne pas élargir le champ ? Intégrer les « chiens de famille » et faciliter l’accès des avocats du barreau de Paris à la médiation animale pourraient être un complément. Pour Cloé Provost, la question ne se pose même plus : « La demande est telle, et les moyens du ministère de la Justice sont tels, qu’il va bien falloir trouver des solutions… Et celle-ci me semble pertinente. »

Une formation personnalisée et exigeante

Mais transformer un simple « chien de famille » en chien médiateur, capable d’évoluer aux côtés de son référent en milieu professionnel, n’est pas une mince affaire. Et ce n’est surtout pas qu’une question de dressage. L’association propose un parcours individualisé de formation en petit groupe et avec les binômes chien-maître, sur deux fois deux jours. « On va bien au-delà du simple pet-friendly. Le chien doit avoir les aptitudes nécessaires pour rester aux côtés de son humain sur son lieu de travail et interagir avec le public », explique Caroline Scamps.


Papy en intervention avec un enfant

Mais tous ne sont pas taillés pour ce rôle. « Certaines races ont des prédispositions, d’autres non. Rien n’est impossible, mais il faut des chiens équilibrés, ni peureux, ni agressifs, capables de s’adapter socialement », tranche Nathalie Simon, responsable de la formation. Une pré-sélection est d’ailleurs prévue pour évaluer ces critères en cas de doute. 

Spécialiste de la relation homme-animal et diplômée d’une thèse sur le sujet, soutenue par la Fondation Sommer, la doctorante insiste : « L’objectif n’est pas de formater tous les chiens, mais d’apprendre aux maîtres à lire les signes de son propre animal et de l’adapter à ses missions, son domaine d’intervention et son public. » Un logiciel, EVALEHA, fruit de ses recherches et déjà appliqué à plus de 10 000 chiens, permet d’affiner ce diagnostic comportemental. Il ne donne pas de verdict, mais éclaire sur le potentiel de chaque duo et les évolutions à mettre en place.

Du sur-mesure, donc, taillé pour les besoins précis des avocats. Autour de la table de cet atelier découverte, un échantillon hétéroclite de robes noires : pénalistes, spécialistes du droit du travail, défenseurs de la cause animale, membres de l’antenne des mineurs du barreau de Paris ou encore experts en droit des affaires. Un éventail large, mais une même curiosité. « Chacun y voit un levier pour sa pratique. Mais la clé, c’est la motivation, l’organisation et, surtout, le consentement des clients. Sans ça, la médiation ne prend pas », prévient Caroline Scamps. 

Le mouvement est en marche. Bientôt, une première promotion devrait voir le jour. Un premier pas pour une expérimentation singulière, où le meilleur ami de l’homme n’est plus qu’à une patte de devenir le plus fidèle allié du barreau.

Enzo Maisonnat

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