Un peu comme pour l’avocat, le professionnel de santé n’est pas attendu
dans un spot publicitaire racoleur. Toutefois, entre la réclame commerciale et l’information
brute, il existe une attitude de communication utile pour le patient comme pour
le praticien.
Être moins coercitif sans pour autant permettre tout et n’importe
quoi : tel est le credo de la réglementation encadrant la publicité des
professionnels de santé libéraux. L’idée est d’offrir la possibilité aux
patients de choisir leurs praticiens en toute connaissance de cause sans tomber
dans des pratiques qui iraient à l’encontre de la déontologie la plus
élémentaire.
Comme souvent, tout part de la législation et de la jurisprudence
européennes. Dans un arrêt de 2017, la Cour de justice de l’UE (CJUE) a affirmé
que l’interdiction, pour les médecins français, de faire de la publicité était
contraire à l’article 56 du Traité de l’Union européenne, relatif aux
restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union.
Obligé de se soumettre à la hiérarchie des normes qui prévaut, le gouvernement
a donc abrogé, fin 2020, ladite interdiction générale et absolue, pour les
professionnels de santé de l’hexagone, de se livrer à de la publicité. Six
décrets, parus au journal officiel le 24 décembre 2020, sont ainsi venus
modifier en ce sens les Codes de déontologie des médecins, des infirmiers, des
chirurgiens-dentistes, des pédicures-podologues, des sages-femmes et enfin, des
masseurs-kinésithérapeutes. Sur ce point, leur contenu est dans la lettre comme
dans l’esprit, pour l’essentiel, commun.
« La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce »
Il suffit d’examiner le décret n°2020-1662 du 22 décembre 2020 qui
concerne les médecins, pour savoir de quoi il retourne pour les uns et les
autres. Ce texte a ouvert la possibilité, pour les médecins, de se donner à
voir autrement mais de manière toujours très cadrée. Toutefois, un axiome de
base demeure intangible et figure à l’article R.4127-19 du Code de la santé
publique (CSP) : « La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce
». Pour autant, ledit décret stipule que « le médecin est libre de
communiquer au public, par tout moyen, y compris sur un site Internet, des
informations de nature à contribuer au libre choix du praticien par le patient,
relatives notamment à ses compétences et pratiques professionnelles, à son
parcours professionnel et aux conditions de son exercice ».
Le texte pose cependant des garde-fous : « Cette communication
respecte les dispositions en vigueur et les obligations déontologiques. Elle
est loyale et honnête, ne fait pas appel à des témoignages de tiers, ne repose
pas sur des comparaisons avec d'autres médecins ou établissements et n'incite
pas à un recours inutile à des actes de prévention ou de soins. Elle ne porte
pas atteinte à la dignité de la profession et n'induit pas le public en erreur.
»
Autre forme d’autopromotion indirecte et, disons-le, habile, la
possibilité « par tout moyen, y compris sur un site Internet, de communiquer
au public ou à des professionnels de santé, à des fins éducatives ou
sanitaires, des informations scientifiquement étayées sur des questions
relatives à sa discipline ou à des enjeux de santé publique ». Et ce, à la
condition que ce soit « avec prudence et mesure, en respectant les
obligations déontologiques, et en se gardant de présenter comme des données
acquises des hypothèses non encore confirmées ».
Des mentions strictement limitées
Pour le reste, le médecin peut mentionner sur les annuaires à l'usage du
public ainsi que sur ses feuilles d'ordonnance et sur ses autres documents
professionnels, outre ses coordonnées, d’autres précision comme par exemple sa
spécialité.
Et pour ce qui est de sa plaque, il est autorisé à faire figurer sur un
tel support apposé à son lieu d'exercice son nom, ses prénoms, son numéro de
téléphone, ses jours et heures de consultation, sa situation vis-à-vis des
organismes d'Assurance maladie et la spécialité au titre de laquelle il est
inscrit au tableau ou la qualification qui lui a été reconnue conformément au
règlement de qualification. Il peut également faire état de ses titres,
diplômes et fonctions reconnus par le Conseil national de l'Ordre. Encore une
fois, ces exigences s’appliquent tout autant aux infirmiers,
chirurgiens-dentistes, pédicures-podologues, sages-femmes et autres
masseurs-kinésithérapeutes.
Par déduction, on considèrera également que les interdits énoncés par le
Conseil national de l’Ordre des médecins sont valables pour les autres
professionnels de santé de ville. À savoir, ne pas faire état : d’évaluations ;
d’une garantie de résultat ; de comparatifs sur les délais, les tarifs ou les
actes ; de mention de valorisation du cabinet ; etc.
Par ailleurs, sur Internet, toute forme de procédé (contre paiement ou
par tout autre moyen) destiné à obtenir un référencement numérique prioritaire
est prohibée. Enfin, les professionnels de santé ne sont pas autorisés à faire
de la publicité pour des produits. Ils peuvent seulement préciser les
différentes techniques qu’ils emploient.
Le cas des centres dentaires
En revanche, les centres dentaires sont, eux, soumis à des règles
drastiques puisqu’ils n’ont tout bonnement pas le droit de faire de la
publicité. Dans sa décision du 3 juin 2022, le Conseil constitutionnel (CC) a,
en effet, donné raison au Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes
aux dépens de l’Association pour le développement de l'accès aux soins
dentaires (Addentis) qui avait posé, pour l’occasion, une question prioritaire
de constitutionnalité (QPC) relative à l'article L6323-1-9 du Code de la santé
publique dans sa rédaction consécutive à l'ordonnance du 12 janvier 2018
relative aux conditions de création et de fonctionnement des centres de santé.
Le Conseil constitutionnel a estimé que la loi, qui interdit aux centres de
santé dentaire de faire de la publicité, n’est pas anticonstitutionnelle et ne
contrevient pas au principe d’égalité entre les centres de santé et les
professionnels de santé.
Pourquoi ? Parce qu’en interdisant la publicité aux centres, le
législateur « a poursuivi un motif d’intérêt général ». En effet, cette
interdiction concerne des entités « qui peuvent être créées et gérées
notamment par des organismes à but lucratif ». Or, pour le CC, il est
indispensable que les centres dentaires « qui peuvent être créés et gérés
notamment par des organismes à but lucratif, ne mettent pas en avant ces
conditions de prise en charge pour développer une pratique intensive de soins
contraire à leur mission et de nature à porter atteinte à la qualité des soins
dispensés ».
« Dans la mesure où l’interdiction de la publicité en faveur des centres
de santé contribue à prévenir une telle pratique, la différence de traitement
critiquée par l’association requérante est en rapport avec l’objet de la loi » ; Si bien que le Conseil constitutionnel
assure que la « méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit être
écartée ».
La nécessité d’un juste milieu
« La législation française comporte des assouplissements très légers
comparés à ce qui prévalait avant 2021 mais cela ne signifie nullement qu’un
professionnel de santé a, pour autant, le droit de faire de la publicité au
sens plein du terme, insiste
Maître Anaïs Français, avocate associée au sein du Cabinet Wenger-Français. Il
a seulement la possibilité de délivrer des informations à ses éventuels futurs
patients sur sa discipline professionnelle et ses techniques conformément à la
loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système
de santé, laquelle consacre le droit des patients à obtenir une information
claire, loyale et appropriée. Il fallait trouver le juste milieu entre les
deux. Néanmoins, il ne faut pas se méprendre : on est toujours dans
l’interdiction de faire de la publicité car sinon, cela reviendrait à amalgamer
la médecine à un commerce. »
Si les textes sont clairs, « la notion d’information sur le
professionnel de santé est un peu plus difficile à appréhender et à
circonscrire lorsque l’activité ne répond pas à une nécessité médicale stricte
comme c’est le cas dans le domaine esthétique où, dans la grande majorité des
cas, on se rapproche d’une activité concurrentielle, voire marchande. Ce qui,
explique, d’ailleurs, que les médecins qui font le plus l’objet de procédures
initiées par l’Ordre sont ceux qui font de la médecine ou chirurgie esthétique
», précise Maître Anaïs Français. Là, le risque majeur est le déclenchement
d’une procédure ordinale avec, à la clef, une sanction qui peut aller du simple
avertissement à une interdiction temporaire d’exercer.
Enfin, il importe de distinguer les professions de santé réglementées
qui dépendent d’un ordre et qui sont soumises à une déontologie, soit la
quasi-totalité d’entre elles, de celles qui ne le sont pas, telles celles des
aides-soignants ou des audioprothésistes, et qui n’encourent donc pas les mêmes
sanctions en cas de débordement. Avec, en toile de fond, de potentielles
distorsions.
Alexandre Terrini
Pi+