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Lutte contre la pollution : comprendre les flux de déchets plastiques

Lutte contre la pollution : comprendre les flux de déchets plastiques
Publié le 12/04/2025 à 07:00

Grâce aux modèles de simulation, les scientifiques parviennent à retracer le parcours des déchets plastiques à la surface des océans. Ces outils précieux – encore en développement – vont permettre de mieux lutter contre la pollution dans les années à venir.

Chaque année, l’Homme produit environ 400 millions de tonnes de plastique, dont une importante partie (environ 8 millions) termine directement dans les océans, le plus souvent via les fleuves et rivières.

« La pollution plastique des océans n’est pas un constat nouveau. Cela a été mentionné pour la première fois dans une étude en 1976, date à laquelle des chercheurs ont commencé à trouver des fragments de plastique dans l’océan », rappelle Christophe Maes, océanographe et physicien spécialiste des flux de déchets marins, lors du Colloque des Académies de marine européennes, fin mars à Marseille.

Aujourd’hui, il y a un consensus scientifique pour dire que les plastiques sont omniprésents dans les déchets et débris marins, y compris dans les zones éloignées des sources d’émissions. « Par exemple, sur les plages du Mozambique, on trouve beaucoup de déchets plastiques en provenance du Sud-Est asiatique », détaille Christophe Maes.

La pollution plastique se retrouve à toutes les profondeurs, depuis les plages jusque dans les fonds marins. « On trouve régulièrement des déchets plastiques dans les fosses marines, même à 7 000 mètres de fond. En outre, toutes les études montrent que le sel de mer consommé sur nos tables est contaminé par des microparticules de plastique », ajoute-t-il.

La pollution plastique est désormais universelle, confirme François Galgani, responsable de projet à l’Ifremer, présent au même débat. Elle représente 80 % des déchets marins. 45 % proviennent d’objet à usage unique, et 19 % sont directement issus de la pêche, comme les filets dérivants. « On en trouve partout, y compris en Antarctique où la pollution est véhiculée par les courants marins. »

Mais si l’ampleur de la pollution plastique est bien connue, le parcours exact des déchets reste encore flou. Des zones d’ombre persistent, comment ces plastiques voyagent ? Où s’accumulent-ils ? Quelle est la part charriée par les fleuves ? « Il y a un manque important de données dans les grands bassins océaniques, en particulier dans l'hémisphère Sud. Dans l’Océan Indien, pratiquement aucune observation n’a été faite », souligne Christophe Maes.

Cinq grandes zones d’accumulation de déchets

Pour combler ces lacunes, Christophe Maes et son équipe de chercheurs ont modélisé la dispersion des plastiques flottants à l’échelle mondiale. Ils ont étudié la trajectoire de particules plastiques circulant à la surface des océans à partir de données observées sur une période de 30 ans, de 1985 à 2013. Cette durée est suffisante pour en déduire un modèle de dispersion.

« Nous avons simulé la dispersion des particules plastiques en les suivant comme des bouteilles à la mer », raconte Christophe Maes. La simulation intègre plusieurs facteurs : les grands courants marins, l’apport des fleuves et rivières, ainsi que les phénomènes extrêmes comme les tempêtes ou les inondations, souvent responsables d’apports massifs de déchets.

Les résultats révèlent des trajectoires précises : des lignes de plastique partent des littoraux et convergent vers différentes zones d’accumulation au cœur des océans. Cette circulation des déchets épouse les courants marins et le vent. Les plastiques sont entraînés et finissent par s’accumuler au centre des gyres, les tourbillons océaniques qui résultent de la convergence de plusieurs courants marins.

La concentration des particules plastiques aboutit à cinq grandes zones d’accumulation de débris en surface au sein desquels ils restent en permanence. Ces cinq zones principales correspondent aux cinq gyres océaniques majeures : Océan Pacifique Sud, Océan Pacifique Nord, Océan Atlantique Nord, Océan Atlantique Sud et Océan Indien.

« Pour moi, cela montre que la dynamique océanique joue un rôle essentiel dans le brassage des matières plastiques flottant en surface », commente Christophe Maes.

La modélisation a également permis de trouver des connexions entre les cinq zones d’accumulation, notamment entre la zone de l’Océan Indien Sud et celle du Pacifique Sud. « Ce chemin, visible après 20 ans de simulation, passe au sud de l’Australie, longe la Nouvelle-Zélande, et vient s’accumuler dans le Pacifique Sud. »

Ainsi, la simulation a montré que les zones de convergence des particules plastiques communiquent entre elles, et non pas comme on le pensait qu’elles sont cloisonnées et indépendantes.

La pollution plastique des rivières, l’exemple indonésien

Mais avant d’atteindre le grand large, les déchets plastiques débutent souvent leur voyage dans les fleuves et rivières. Et là encore, la connaissance fait défaut. Souvent, le débit des fleuves conditionne proportionnellement le volume de plastique qu’ils charrient vers l’océan. Or, cette relation est encore mal quantifiée dans de nombreuses régions du monde.

« En Europe, nous connaissons très bien le débit de nos fleuves grâce à de nombreux services qui effectuent des mesures, mais ce n’est pas le cas dans de nombreux pays, comme l’Indonésie », remarque Christophe Maes. 

Grâce à une collaboration avec l’Agence française de développement (AFD), l’océanographe a pu modéliser la dispersion des déchets plastiques en Indonésie, un des pays les plus polluants au monde en la matière. « Cette fois-ci, nous avons utilisé un modèle régional pour avoir un peu plus de résolution, avec des courants plus fins au niveau des caps, détroits et îles. »

Le modèle s’appuie sur les données de 21 rivières indonésiennes, analysées pendant quatre ans. Il prend en compte le flux plastique estimé à partir de la densité de population et des observations locales. « Nous avons fait l’hypothèse, assez validée par les données sur place, que le flux total de ces rivières est aussi un flux de plastique assez net. »

Les résultats sont parlants : au bout de quelques semaines, toutes les mers indonésiennes étaient contaminées par ces flux de particules plastiques, dont une partie qui partait vers l’Océan Indien ou le Pacifique. « On s’est aperçus, au bout de 4 années, de façon assez surprenante, que 10 % des déchets restaient en mer, 30 % partaient vers l’Océan Indien, et 60 % des particules restaient assez proches des terres. »

Les événements extrêmes jouent un rôle clé dans cette pollution. Dès que les moussons surviennent, le niveau des rivières augmente très fortement et tous les plastiques accumulés dans des décharges à ciel ouvert partent très rapidement à la mer. « Ces décharges sont ensuite rechargées derrière en plastique par la population, puis emportées à nouveau », observe Christophe Maes.

Afin d’aider les autorités locales, les chercheurs ont conçu un atlas de la pollution plastique : des cartes précises montrent la répartition des déchets par zones, afin d’anticiper au mieux l’arrivée des déchets et lutter contre. Ces données servent également aux associations de ramassage, comme The Ocean Cleanup, afin d’optimiser le positionnement de leurs dispositifs de collecte.

Pour François Galgani, l’origine de la pollution est simple. « Là où il y a du monde, il y a de la pollution plastique. » À cela s’ajoute un autre facteur majeur : la mauvaise gestion des déchets qui est inexistante dans certains pays. « Cela vient encore aggraver les concentrations de plastique, comme l’illustre l’exemple du Sud-Est asiatique qui cumule les deux facteurs et en fait une des régions les plus émettrices au monde de déchets », constate le représentant de l’Ifremer.

Cependant, aucun pays ni aucune région du monde n’est exemplaire. « Tout le monde génère du plastique, il y en a par exemple beaucoup le long des côtes françaises », note-t-il.

Par ailleurs, les événements extrêmes, comme les tsunamis et ouragans, sont une source énorme de pollution. « Lors du tsunami au Japon en 2011, les autorités estiment que 5 millions de tonnes de déchets sont reparties à la mer. Il s’agit de quantités phénoménales de pollution en un seul coup. »

Face au plastique, des solutions trop peu efficaces

La gestion des plastiques est une question très complexe à laquelle l’Homme ne sait pas encore répondre efficacement. « Cela s’explique par la grande diversité des sources d’émissions de plastique. Il y a 8 milliards d’individus sur Terre et chacun est responsable de déchets plastiques, qu’il le veuille ou non », analyse François Galgani.

Les déchets plastiques proviennent de multiples secteurs, de l’emballage alimentaire à l’industrie, en passant par les produits électroniques ou encore les vêtements. Cette multiplicité complique le recyclage, qui n’est possible que pour certains plastiques.

Dans ce contexte sombre, les nouveaux matériaux donnent de l’espoir. « Nous serons peut-être bientôt capables de concevoir des plastiques recyclables des milliers de fois », espère François Galgani.

Mais pour devenir une réalité internationale, cette solution demande du temps, un investissement massif dans la recherche, et des infrastructures adaptées. Parallèlement, il faut continuer à essayer de développer des méthodes de traitement des eaux capables de capter les microplastiques. Et en attendant, la lutte contre la pollution plastique passe impérativement par la surveillance globale du parcours des déchets, à l’image du travail réalisé par l’équipe de Christophe Maes.

Des modèles de dispersion des déchets commencent à émerger. Mais une collaboration entre tous les États est nécessaire pour mettre en place cette surveillance. Or ce n'est malheureusement pas encore le cas aujourd'hui, regrette François Galgani. « Nous travaillons actuellement avec les responsables scientifiques de la Conférence des Nations Unies sur l'Océan [Unoc] en vue d’une déclaration d'engagement pour une surveillance globale des déchets marins. »

En attendant des avancées diplomatiques, le véritable problème réside donc dans la gestion de la fin de vie du plastique qui reste pour l’instant catastrophique à l’échelle mondiale.

Sylvain Labaune

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