Grâce aux modèles de simulation, les scientifiques parviennent à
retracer le parcours des déchets plastiques à la surface des océans. Ces outils
précieux – encore en développement – vont permettre de mieux lutter contre la
pollution dans les années à venir.
Chaque année, l’Homme produit
environ 400 millions de tonnes de plastique, dont une importante partie
(environ 8 millions) termine directement dans les océans, le plus souvent via
les fleuves et rivières.
« La pollution
plastique des océans n’est pas un constat nouveau. Cela a été mentionné pour la
première fois dans une étude en 1976, date à laquelle des chercheurs ont
commencé à trouver des fragments de plastique dans l’océan »,
rappelle Christophe Maes, océanographe et physicien spécialiste des flux de
déchets marins, lors du Colloque des Académies de marine européennes, fin mars
à Marseille.
Aujourd’hui, il y a un
consensus scientifique pour dire que les plastiques sont omniprésents dans les
déchets et débris marins, y compris dans les zones éloignées des sources
d’émissions. « Par exemple, sur les plages du Mozambique, on trouve beaucoup
de déchets plastiques en provenance du Sud-Est asiatique », détaille
Christophe Maes.
La pollution plastique se
retrouve à toutes les profondeurs, depuis les plages jusque dans les fonds
marins. « On trouve régulièrement des déchets plastiques dans les fosses
marines, même à 7 000 mètres de fond. En outre, toutes les études montrent que
le sel de mer consommé sur nos tables est contaminé par des microparticules de
plastique », ajoute-t-il.
La pollution plastique est
désormais universelle, confirme François Galgani, responsable de projet à
l’Ifremer, présent au même débat. Elle représente 80 % des déchets marins. 45 %
proviennent d’objet à usage unique, et 19 % sont directement issus de la pêche,
comme les filets dérivants. « On en trouve partout, y compris en Antarctique
où la pollution est véhiculée par les courants marins. »
Mais si l’ampleur de la
pollution plastique est bien connue, le parcours exact des déchets reste encore
flou. Des zones d’ombre persistent, comment ces plastiques voyagent ? Où
s’accumulent-ils ? Quelle est la part charriée par les fleuves ? « Il y a un
manque important de données dans les grands bassins océaniques, en particulier
dans l'hémisphère Sud. Dans l’Océan Indien, pratiquement aucune observation n’a
été faite », souligne Christophe Maes.
Cinq
grandes zones d’accumulation de déchets
Pour combler ces lacunes,
Christophe Maes et son équipe de chercheurs ont modélisé la dispersion des
plastiques flottants à l’échelle mondiale. Ils ont étudié la trajectoire de
particules plastiques circulant à la surface des océans à partir de données
observées sur une période de 30 ans, de 1985 à 2013. Cette durée est suffisante
pour en déduire un modèle de dispersion.
« Nous avons simulé la
dispersion des particules plastiques en les suivant comme des bouteilles à la
mer », raconte Christophe Maes. La simulation
intègre plusieurs facteurs : les grands courants marins, l’apport des fleuves
et rivières, ainsi que les phénomènes extrêmes comme les tempêtes ou les
inondations, souvent responsables d’apports massifs de déchets.
Les résultats révèlent des
trajectoires précises : des lignes de plastique partent des littoraux et
convergent vers différentes zones d’accumulation au cœur des océans. Cette
circulation des déchets épouse les courants marins et le vent. Les plastiques
sont entraînés et finissent par s’accumuler au centre des gyres, les
tourbillons océaniques qui résultent de la convergence de plusieurs courants
marins.
La concentration des
particules plastiques aboutit à cinq grandes zones d’accumulation de débris en
surface au sein desquels ils restent en permanence. Ces cinq zones principales correspondent
aux cinq gyres océaniques majeures : Océan Pacifique Sud, Océan Pacifique Nord,
Océan Atlantique Nord, Océan Atlantique Sud et Océan Indien.
« Pour moi, cela
montre que la dynamique océanique joue un rôle essentiel dans le brassage des
matières plastiques flottant en surface », commente
Christophe Maes.
La modélisation a également
permis de trouver des connexions entre les cinq zones d’accumulation, notamment
entre la zone de l’Océan Indien Sud et celle du Pacifique Sud. « Ce chemin,
visible après 20 ans de simulation, passe au sud de l’Australie, longe la
Nouvelle-Zélande, et vient s’accumuler dans le Pacifique Sud. »
Ainsi, la simulation a montré
que les zones de convergence des particules plastiques communiquent entre
elles, et non pas comme on le pensait qu’elles sont cloisonnées et
indépendantes.
La
pollution plastique des rivières, l’exemple indonésien
Mais avant d’atteindre le
grand large, les déchets plastiques débutent souvent leur voyage dans les
fleuves et rivières. Et là encore, la connaissance fait défaut. Souvent, le
débit des fleuves conditionne proportionnellement le volume de plastique qu’ils
charrient vers l’océan. Or, cette relation est encore mal quantifiée dans de
nombreuses régions du monde.
« En Europe, nous
connaissons très bien le débit de nos fleuves grâce à de nombreux services qui
effectuent des mesures, mais ce n’est pas le cas dans de nombreux pays, comme
l’Indonésie », remarque Christophe Maes.
Grâce à une collaboration
avec l’Agence française de développement (AFD), l’océanographe a pu modéliser
la dispersion des déchets plastiques en Indonésie, un des pays les plus
polluants au monde en la matière. « Cette fois-ci, nous avons utilisé un
modèle régional pour avoir un peu plus de résolution, avec des courants plus
fins au niveau des caps, détroits et îles. »
Le modèle s’appuie sur les
données de 21 rivières indonésiennes, analysées pendant quatre ans. Il prend en
compte le flux plastique estimé à partir de la densité de population et des
observations locales. « Nous avons fait l’hypothèse, assez validée par les
données sur place, que le flux total de ces rivières est aussi un flux de
plastique assez net. »
Les résultats sont parlants :
au bout de quelques semaines, toutes les mers indonésiennes étaient contaminées
par ces flux de particules plastiques, dont une partie qui partait vers l’Océan
Indien ou le Pacifique. « On s’est aperçus, au bout de 4 années, de façon
assez surprenante, que 10 % des déchets restaient en mer, 30 % partaient vers
l’Océan Indien, et 60 % des particules restaient assez proches des terres. »
Les événements extrêmes
jouent un rôle clé dans cette pollution. Dès que les moussons surviennent, le
niveau des rivières augmente très fortement et tous les plastiques accumulés
dans des décharges à ciel ouvert partent très rapidement à la mer. « Ces
décharges sont ensuite rechargées derrière en plastique par la population, puis
emportées à nouveau », observe Christophe Maes.
Afin d’aider les autorités
locales, les chercheurs ont conçu un atlas de la pollution plastique : des
cartes précises montrent la répartition des déchets par zones, afin d’anticiper
au mieux l’arrivée des déchets et lutter contre. Ces données servent également aux
associations de ramassage, comme The Ocean Cleanup, afin d’optimiser le
positionnement de leurs dispositifs de collecte.
Pour François Galgani,
l’origine de la pollution est simple. « Là où il y a du monde, il y a de la
pollution plastique. » À cela s’ajoute un autre facteur majeur : la
mauvaise gestion des déchets qui est inexistante dans certains pays. « Cela
vient encore aggraver les concentrations de plastique, comme l’illustre
l’exemple du Sud-Est asiatique qui cumule les deux facteurs et en fait une des
régions les plus émettrices au monde de déchets », constate le représentant
de l’Ifremer.
Cependant, aucun pays ni
aucune région du monde n’est exemplaire. « Tout le monde génère du
plastique, il y en a par exemple beaucoup le long des côtes françaises », note-t-il.
Par ailleurs, les événements
extrêmes, comme les tsunamis et ouragans, sont une source énorme de pollution. «
Lors du tsunami au Japon en 2011, les autorités estiment que 5 millions de
tonnes de déchets sont reparties à la mer. Il s’agit de quantités phénoménales
de pollution en un seul coup. »
Face
au plastique, des solutions trop peu efficaces
La gestion des plastiques est
une question très complexe à laquelle l’Homme ne sait pas encore répondre
efficacement. « Cela s’explique par la grande diversité des sources
d’émissions de plastique. Il y a 8 milliards d’individus sur Terre et chacun
est responsable de déchets plastiques, qu’il le veuille ou non », analyse
François Galgani.
Les déchets plastiques
proviennent de multiples secteurs, de l’emballage alimentaire à l’industrie, en
passant par les produits électroniques ou encore les vêtements. Cette
multiplicité complique le recyclage, qui n’est possible que pour certains
plastiques.
Dans ce contexte sombre, les
nouveaux matériaux donnent de l’espoir. « Nous serons peut-être bientôt
capables de concevoir des plastiques recyclables des milliers de fois », espère
François Galgani.
Mais pour devenir une réalité
internationale, cette solution demande du temps, un investissement massif dans
la recherche, et des infrastructures adaptées. Parallèlement, il faut continuer
à essayer de développer des méthodes de traitement des eaux capables de capter
les microplastiques. Et en attendant, la lutte contre la pollution plastique passe
impérativement par la surveillance globale du parcours des déchets, à l’image du
travail réalisé par l’équipe de Christophe Maes.
Des modèles de dispersion des
déchets commencent à émerger. Mais une collaboration entre tous les États est
nécessaire pour mettre en place cette surveillance. Or ce n'est malheureusement
pas encore le cas aujourd'hui, regrette François Galgani. « Nous travaillons
actuellement avec les responsables scientifiques de la Conférence des Nations
Unies sur l'Océan [Unoc] en vue d’une déclaration d'engagement pour une
surveillance globale des déchets marins. »
En attendant des avancées
diplomatiques, le véritable problème réside donc dans la gestion de la fin de
vie du plastique qui reste pour l’instant catastrophique à l’échelle mondiale.
Sylvain Labaune