Née
dans les coulisses du programme incubateur Lyon Start-Up à l’automne 2024, « Libélaw » vient de faire son entrée officielle mi-avril. Imaginée par Victoire
Bern, avocate, et Maxence Laurent, stratège passé par l’industrie pharmaceutique,
cette solution digitale a pour ambition d'alléger le quotidien des avocats.
« Je
ne sais pas où vous étiez hier, mais moi, j’étais à Brest », lâche Victoire
avec ironie, sourire en coin, pour mieux planter le décor. « J'ai perdu
une journée entière dans les transports pour déposer un seul et unique document
auprès d’un tribunal à l'autre bout de la France… Et cette contrainte,
des milliers de confrères la subissent au quotidien », déplore
l’avocate lyonnaise. De cette routine de galères, plus proche de celle d’un
routier que d’un ténor du barreau, Victoire a tiré une idée. Une réponse simple
à un casse-tête quotidien qui pèse lourd sur la profession : la gestion de la
substitution. Puisque trouver un confrère pour vous représenter à l’autre bout
du pays relève souvent d’une mission aussi chronophage qu’ingrate.
Pour
chaque substitution, la même mécanique usante : appeler le greffe, récupérer la
liste des avocats présents ce jour-là au tribunal, les contacter un par un, en
espérant qu’ils répondent à leur téléphone ou lisent leurs mails. « Dans le
meilleur des cas, j’y passe deux heures. Et j’en ai en moyenne une dizaine par
mois… C’est une tâche qui demande énormément de temps et d’énergie », souffle-t-elle.
Parce qu’avant chaque plaidoirie, un ballet de petites audiences dites
« de procédures » est à réaliser : organiser un renvoi, prendre un
calendrier, tenter une conciliation, etc. Autant de passages obligés qui
nécessitent la présence d’un avocat, mais ce peut être n’importe lequel.
Rompue
à l’exercice, du haut de ses quinze années de barreau en droit social et droit
pénal des affaires, Victoire a donc sillonné le territoire de long en large. « Je
crois que je les ai tous faits, les 164 tribunaux de France. Je suis allée
jusqu’à Douai, Brest et Quimper… À chaque fois pour quelques minutes d’audience »,
raconte-t-elle amèrement. J’ai alors compris que notre modèle ne
fonctionnait pas ». De cette réflexion, est ainsi née Libélaw, une application web pensée pour simplifier
la gestion des substitutions et postulations. Un outil qui permet aux avocats de
trouver rapidement un remplaçant partout en France métropolitaine et en
outre-mer, sans avoir à quitter leur cabinet ni à multiplier les appels.
« Un
cercle vertueux pour toute la profession »
Derrière
cette plateforme digitale, se cache un duo complémentaire. Puisque c’est à deux
que la start-up lyonnaise prend forme. Victoire incarne la profession. Son
frère Maxence apporte le côté business et son expertise en stratégie
commerciale, fort de son expérience d’une décennie dans l’industrie
pharmaceutique à l’international. Leur synergie leur a permis, avec l’aide de
développeurs, d’élaborer la solution à l’automne 2024. Lancée dans le cadre du
programme incubateur Lyon Start-Up, où le projet a séduit le jury jusqu’à
décrocher la première place et remporter un soutien financier de 10 000 euros,
Libélaw est sorti officiellement mi-avril.

Maxence Laurent et Victoire Bern
Concrètement,
l’usage se veut très simple. Lorsqu’un avocat a besoin d’un confrère
« ressource » pour le remplacer, il lui suffit de formuler une
requête sur Libélaw. Lieu, date, heure, type d’audience, tarif. En quelques
clics, les professionnels disponibles apparaissent sur l’application. Si aucun
avocat n’est inscrit durant le créneau choisi, un bouton pour contacter
l’assistant est à disposition. Derrière cette aide, c’est Victoire en personne
qui décrochera dans un premier temps son téléphone pour appeler les greffes et chercher
un remplaçant. Une fois la mission acceptée, une messagerie sécurisée s’ouvre
entre les deux avocats pour y partager la convocation, les consignes, échanger
en temps réel, etc… De la sorte, « Libélaw affiche 100 % de réussite », clame
le duo, qui insiste sur son modèle « gagnant-gagnant ».
À lire aussi : Barreau de Lyon. Qui sont les créateurs primés au concours de l'innovation 2024 ?
« Le
demandeur allège sa charge mentale, économise du temps, de l’énergie, et une
bonne dose de stress. Celui qui accepte la mission rentabilise sa demi-journée
au tribunal, en empilant les audiences. Plutôt que d’attendre trois heures pour
une affaire, il peut en assurer quatre ou cinq et se faire rémunérer par ses
pairs », explique Maxence. La start-up, elle, prend 20 % de commission.
Mais la
promesse de Libélaw va au-delà de l’efficacité. « Nous souhaitons créer un
cercle vertueux pour toute la profession, pour la planète et pour les clients »,
avance Victoire. « Puisque nous réduisons de moitié notre
empreinte carbone, tandis que la facture des clients est divisée par quatre en
moyenne, sans les frais de déplacement, logement, bouche, etc. » Maxence
poursuit : « On insiste sur le fait que nous sommes une web application
intégrée de A à Z. Il suffit de déposer une demande de substitution ou de
postulation et Libélaw s’occupe du reste. Ce qui est souvent un sujet de
friction, un point de douleur qui bouscule l’agenda en cas de déplacement,
gagne désormais en sérénité et libère la charge mentale des professionnels. »
« Renforcer
la confraternité et désenclaver les petits barreaux »
Au cœur
du projet, un autre mot un peu oublié est également remis à l’honneur : la
confraternité. Victoire et Maxence en ont fait leur boussole. Et pour cause :
le monde des avocats n’est pas toujours tendre avec lui-même. Pourtant, « chaque
avocat a un sens de l’entraide assez incroyable », s’étonne Maxence, néophyte
tombé dans la marmite judiciaire avec ce projet. « Il y a toujours quelqu’un
pour dépanner, pour prendre le relais. » Et c’est justement ce maillage
informel que Libélaw souhaite renforcer en rendant l’entraide visible et plus fluide.
« L’application doit permettre de désenclaver les petits barreaux »,
note Victoire, qui voit dans l’outil un levier pour lutter contre les zones
blanches de la justice, à l’image des déserts médicaux.
Là
aussi, la plateforme joue les entremetteuses : elle relie les pros du droit,
fluidifie les missions, fait circuler les opportunités. Et surtout, elle ouvre
des portes. Pour les avocats en début de carrière ou ceux en sous-régime,
« Libélaw est aussi une rampe d’accès à des missions rémunérées, à du
réseau et à une implication approfondie dans la profession. »
Et le
duo n’entend pas s’arrêter là. En coulisses, Victoire et Maxence discutent déjà
avec plusieurs instances nationales. Des partenariats sont sur la table. Et
l’avenir de l’application pourrait bien s’écrire avec de l’intelligence artificielle.
« Libélaw a une vocation bien plus large que les substitutions. Nous voulons
inscrire la profession dans la durée. »
Enzo Maisonnat