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Les professeurs vont-ils prendre des cours d'intelligence artificielle ?

Les professeurs vont-ils prendre des cours d'intelligence artificielle ?
Publié le 07/04/2025 à 16:00

La Chine, les États-Unis ou encore l’Estonie intègrent l’intelligence artificielle de manière partielle ou complète dans leur système scolaire. En France, alors que moins de 20 % des enseignants l’utilisent dans leur pratique, quel choix va-t-on adopter ?

Point d’enseignant, seulement des robots ? C’est ce qu’explore une école à Londres. Le David Game College n’embauche plus de professeurs, seulement des coachs pédagogiques pour encadrer les élèves. Ces derniers révisent et apprennent à l’aide d’intelligence artificielle. Une méthode adoptée aux États-Unis dès la rentrée prochaine.

En Arizona, Unbound Academy s’installe dans l’une des écoles publiques pour expérimenter sur 250 élèves une scolarité en ligne. Grammaire, mathématiques, sciences, tout y passe grâce aux ordinateurs. Des cours de codage informatique, d’initiation à la gestion d’argent ou encore sur les bases de l’entrepreneuriat seront enseignés par ces moyens. Ainsi, plus de professeurs seulement des encadrants et un apprentissage adapté au rythme de chaque élève.

Ces nouveautés qu’on pourrait croire sorties tout droit d’un film futuriste n’auraient jamais pu être abordées il y a encore cinq ans. En l’espace de deux années, l’intelligence artificielle a pris une place considérable dans la vie quotidienne mais également dans les parcours scolaires.

ChatGPT lancé en 2022 a été le premier outil à vulgariser cette technologie. Avec plus de 123,5 millions d’utilisateurs par mois, dont environ 4,9 millions de Français, la plateforme est devenue un incontournable, même en classe.

La formation des enseignants

Selon le ministère de l’Éducation nationale moins de 20 % des enseignants utilisent régulièrement l’intelligence artificielle dans leur travail contre la majorité des élèves. Débordés par cet outil de plus en plus pointilleux de nombreux professeurs refusent son arrivée précipitée dans leur pédagogie, quand d’autres tiennent à sensibiliser sur son utilisation.

C’est le cas de Sarah Hillion. Cette professeure d’anglais en cycle 5 formation générale n’a ni honte ni tabou à consulter ChatGPT pour ses cours. « Je demande à ChatGPT pour me guider sur les compétences à développer, des idées de taches finales pour être plus rapide. Je trouve que c’est plus abouti. » Pour autant, elle ne se laisse pas déconnecter du programme de l’éducation nationale, « …, je lui demande un plan concret, les attentes suivant les niveaux. Au lieu de trouver 4 ou 5 idées de ma tête, j’en ai une dizaine en moins de temps à proposer aux élèves. »

Gagner du temps sur la préparation pour avancer au mieux dans le programme affiché ? C’est l’objectif affiché par la ministre Élisabeth Borne. Un appel à projets sera lancé cet été « pour développer une IA souveraine, ouverte et évolutive » afin d’aider les enseignants dans leurs préparations de cours ou encore l’évaluation des élèves.

Justement, cette formation est au cœur des questions sur la place légitime ou non de l’intelligence artificielle dans les classes. « Honnêtement, pour obtenir ce que l’on veut de ChatGPT, il faut l’avoir bien compris et avoir suivi une formation », explique Sarah Hillion. « Je vois bien en salle des profs, beaucoup sont dépassés parce qu’ils ne connaissent pas et qu’ils se font sûrement avoir par les élèves aguerris. »

Cette problématique est aussi soulevée par Benjamin Lorre, chercheur en sciences sociales chez Frateli Lab/A1. Selon lui, « pour éviter le remplacement des instituteurs et la robotisation des élèves », il s'agit d'engager davantage de formation et d'initiations aux questions de l'IA, en partenariat avec des associations de soutien au numérique. Il développe : « Cet outil peut être un appui sur la recherche d'information ou de travail d’étude. Je pense qu'il faut envisager une montée en compétences de la formation à l'IA de manière progressive et en insistant sur une véritable culture de l'IA avec un renforcement de l'esprit critique et de compréhension de cet objet et pas seulement du point de vue de la technique. »

Humains ou robots, où est le juste milieu ?

Avec ChatGPT c’est noir ou blanc. « C’est un apport exceptionnel, un outil très utile mais qui fait beaucoup d’erreur », nuance la professeure d’anglais. « Je ne l’utilise pas pour corriger les copies puisqu’en compréhension ou expression orale c’est impossible ni en expression écrite car il ne sait pas expliquer les erreurs et les voies d’amélioration précisément. »

Dans le modèle d’Unbound Academy, l’intelligence artificielle s’adapte, en théorie, aux différences des élèves comme l’explique la charte de l’école en Arizona : « l'IA analyse rigoureusement les données complètes des élèves - précision de la réponse, durée de l'engagement et rétroaction émotionnelle via webcam - pour s'assurer que les leçons sont appropriées. »

Pourtant ce point est impensable pour Sandrine Esposito. Cette directrice d’école maternelle dans le Vaucluse n’imagine pas un système scolaire sans humain : « L’intelligence artificielle ne pourra jamais remplacer le contact humain, l’empathie, l’écoute, la compréhension de l’individu et l’adaptabilité à chaque élève. »

Ce que le robot ne peut pas, ou pas encore, créer, c’est le rapport d’humain à humain. Il ne faut pas oublier ce qui se cache derrière l’intelligence artificielle : l’humain lui-même. L’IA ne réfléchit pas par elle-même, elle emmagasine des informations trouvées sur internet et les exploite via algorithmes fournis par les scientifiques. Rien ne lui permet pour le moment d’avoir un esprit critique.

Des inégalités se creuseront

Même si, pour les professeurs au point sur la technologie, c’est une chance de profiter des moyens de ChatGPT, plusieurs inégalités dans la pratique, dans le futur et sur le territoire demeurent. Il y a ceux qui encouragent les élèves, comme Sarah Hillion, à s’aider car « c’est inévitable, ils vont l’utiliser donc autant leur donner les clés », et ceux qui ne voient pas l’utilité.

Le résultat ? Une différence pourrait se créer entre les élèves accompagnés « à poser les bonnes questions au logiciel pour obtenir des idées plus rapidement » et ceux confrontés à leur feuille de papier. Les différences vont se creuser aussi dans la pédagogie. « L’intelligence artificielle ne sera que partiellement intégrée et dépendra d’une formation. Je pense que cela créera des inégalités entre ceux qui pourront l’intégrer et les autres », expose la directrice d’école maternelle.

Là est la difficulté pour les prochaines générations de professeurs. Nous pouvons imaginer les futurs enseignants apprendre pendant leurs études comment corriger une copie avec une intelligence artificielle, là où les promotions précédentes manient uniquement le stylo et leur cerveau. Des inégalités vont certainement se creuser en salle des profs, dans les classes, et pour les corrections d’examens finaux.

« L’éducation nationale est à plusieurs vitesses selon l’endroit où tu habites, les moyens ne sont pas les mêmes. » En pratique, tous les établissements scolaires ne sont pas logés à la même enseigne, tous ne sont pas équipés en informatique, idem pour les élèves. Nous pouvons nous rappeler, il y a cinq ans, la crise sanitaire du Covid 19 avait creusé des inégalités entre les établissements et les élèves. 5 % des élèves en France – 13 % des collégiens en REP – ne disposaient pas d’un ordinateur à la maison selon l’Education nationale. Or, si les cours venaient à se faire en intelligence artificielle, les révisions à domicile également…

Et en 2025, ces difficultés continuent. Sandrine Esposito en témoigne : « Pour ma part, mon école maternelle est équipée depuis une quinzaine de jours du projet École numérique et Industrie mais ces écrans ne sont pas reliés à internet. Donc pour l’instant l’IA est encore à des années lumières de nous. »

Suivre le modèle chinois, fausse bonne idée ?

Alors que le chercheur en sciences sociales Benjamin Lorre explique que certains enseignements dans le domaine universitaire proposent des cours d'histoire de l'IA et de la culture technique aux étudiants. La Chine, elle, commence à éduquer ses enfants avec des cours d’intelligence artificielle dès le primaire.

Un coup d’avance pour la Chine ? C’est la question légitime que peuvent se poser les différents pays. L’Empire du milieu intègre à son programme au primaire et au secondaire des cours « utilisant des compagnons IA, des assistants de recherche IA et d’autres agents intelligents pour faciliter l’apprentissage par dialogue humain-machine » a fait savoir la Commission municipale de l’éducation de Pékin. Disponible uniquement à Pékin, ces huit heures de cours par année scolaire seront organisées dès septembre.

Le spécialiste évoque « une culture de l’IA » dans les établissements scolaires avec « l'appui des informaticiens et des médiateurs sur le sujet », des gens qui connaissent les tenants et les aboutissants pour inculquer ces connaissances dès « la fin collège ou le début lycée ».

Pour le primaire ? « Cela me paraît beaucoup trop tôt et pas du tout en adéquation avec une évolution naturelle. Les enfants ont besoin de concret, d’expérimentation, de vécu. L’IA demande une capacité d’abstraction qui n’est pas à la portée de tous, à cet âge-là », contredit la directrice d’école maternelle. Ces cours, peu importe le niveau, pourraient être encadrés par « de la prévention », pour la professeure d’anglais qui y voit toujours une manière d’enseigner mais différente. « On ne peut pas enseigner sans continuer à apprendre », conclut-elle.

Tessa Biscarrat

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