La Chine, les États-Unis
ou encore l’Estonie intègrent l’intelligence artificielle de manière partielle
ou complète dans leur système scolaire. En France, alors que moins de 20 % des
enseignants l’utilisent dans leur pratique, quel choix va-t-on adopter ?
Point
d’enseignant, seulement des robots ? C’est ce qu’explore une école à Londres.
Le David Game College n’embauche plus de professeurs, seulement des coachs
pédagogiques pour encadrer les élèves. Ces derniers révisent et apprennent à
l’aide d’intelligence artificielle. Une méthode adoptée aux États-Unis dès la
rentrée prochaine.
En
Arizona, Unbound Academy s’installe dans l’une des écoles publiques pour
expérimenter sur 250 élèves une scolarité en ligne. Grammaire, mathématiques,
sciences, tout y passe grâce aux ordinateurs. Des cours de codage informatique,
d’initiation à la gestion d’argent ou encore sur les bases de l’entrepreneuriat
seront enseignés par ces moyens. Ainsi, plus de professeurs seulement des
encadrants et un apprentissage adapté au rythme de chaque élève.
Ces
nouveautés qu’on pourrait croire sorties tout droit d’un film futuriste
n’auraient jamais pu être abordées il y a encore cinq ans. En l’espace de deux
années, l’intelligence artificielle a pris une place considérable dans la vie
quotidienne mais également dans les parcours scolaires.
ChatGPT
lancé en 2022 a été le premier outil à vulgariser cette technologie. Avec plus
de 123,5 millions d’utilisateurs par mois, dont environ 4,9 millions de
Français, la plateforme est devenue un incontournable, même en classe.
La formation des
enseignants
Selon le
ministère de l’Éducation nationale moins de 20 % des enseignants utilisent
régulièrement l’intelligence artificielle dans leur travail contre la majorité
des élèves. Débordés par cet outil de plus en plus pointilleux de nombreux
professeurs refusent son arrivée précipitée dans leur pédagogie, quand d’autres
tiennent à sensibiliser sur son utilisation.
C’est le
cas de Sarah Hillion. Cette professeure d’anglais en cycle 5 formation générale
n’a ni honte ni tabou à consulter ChatGPT pour ses cours. « Je demande à
ChatGPT pour me guider sur les compétences à développer, des idées de taches
finales pour être plus rapide. Je trouve que c’est plus abouti. » Pour
autant, elle ne se laisse pas déconnecter du programme de l’éducation
nationale, « …, je lui demande un plan concret, les attentes suivant les
niveaux. Au lieu de trouver 4 ou 5 idées de ma tête, j’en ai une dizaine en
moins de temps à proposer aux élèves. »
Gagner
du temps sur la préparation pour avancer au mieux dans le programme affiché ?
C’est l’objectif affiché par la ministre Élisabeth Borne. Un appel à projets
sera lancé cet été « pour développer une IA souveraine, ouverte et évolutive
» afin d’aider les enseignants dans leurs préparations de cours ou encore
l’évaluation des élèves.
Justement,
cette formation est au cœur des questions sur la place légitime ou non de
l’intelligence artificielle dans les classes. « Honnêtement, pour obtenir ce
que l’on veut de ChatGPT, il faut l’avoir bien compris et avoir suivi une
formation », explique Sarah Hillion. « Je vois bien en salle des profs,
beaucoup sont dépassés parce qu’ils ne connaissent pas et qu’ils se font
sûrement avoir par les élèves aguerris. »
Cette
problématique est aussi soulevée par Benjamin Lorre, chercheur en sciences
sociales chez Frateli Lab/A1. Selon lui, « pour éviter le remplacement des
instituteurs et la robotisation des élèves », il s'agit d'engager davantage
de formation et d'initiations aux questions de l'IA, en partenariat avec des
associations de soutien au numérique. Il développe : « Cet outil peut être
un appui sur la recherche d'information ou de travail d’étude. Je pense qu'il
faut envisager une montée en compétences de la formation à l'IA de manière
progressive et en insistant sur une véritable culture de l'IA avec un
renforcement de l'esprit critique et de compréhension de cet objet et pas
seulement du point de vue de la technique. »
Humains ou robots, où est
le juste milieu ?
Avec
ChatGPT c’est noir ou blanc. « C’est un apport exceptionnel, un outil très
utile mais qui fait beaucoup d’erreur », nuance la professeure d’anglais. «
Je ne l’utilise pas pour corriger les copies puisqu’en compréhension ou
expression orale c’est impossible ni en expression écrite car il ne sait pas
expliquer les erreurs et les voies d’amélioration précisément. »
Dans le
modèle d’Unbound Academy, l’intelligence artificielle s’adapte, en théorie, aux
différences des élèves comme l’explique la charte de l’école en Arizona : «
l'IA analyse rigoureusement les données complètes des élèves - précision de la
réponse, durée de l'engagement et rétroaction émotionnelle via webcam - pour
s'assurer que les leçons sont appropriées. »
Pourtant
ce point est impensable pour Sandrine Esposito. Cette directrice d’école
maternelle dans le Vaucluse n’imagine pas un système scolaire sans humain : «
L’intelligence artificielle ne pourra jamais remplacer le contact humain,
l’empathie, l’écoute, la compréhension de l’individu et l’adaptabilité à chaque
élève. »
Ce que
le robot ne peut pas, ou pas encore, créer, c’est le rapport d’humain à humain.
Il ne faut pas oublier ce qui se cache derrière l’intelligence artificielle :
l’humain lui-même. L’IA ne réfléchit pas par elle-même, elle emmagasine des
informations trouvées sur internet et les exploite via algorithmes fournis par
les scientifiques. Rien ne lui permet pour le moment d’avoir un esprit
critique.
Des inégalités se
creuseront
Même si,
pour les professeurs au point sur la technologie, c’est une chance de profiter
des moyens de ChatGPT, plusieurs inégalités dans la pratique, dans le futur et
sur le territoire demeurent. Il y a ceux qui encouragent les élèves, comme
Sarah Hillion, à s’aider car « c’est inévitable, ils vont l’utiliser donc
autant leur donner les clés »,
et ceux qui ne voient pas l’utilité.
Le
résultat ? Une différence pourrait se créer entre les élèves accompagnés « à
poser les bonnes questions au logiciel pour obtenir des idées plus rapidement »
et ceux confrontés à leur feuille de papier. Les différences vont se creuser
aussi dans la pédagogie. « L’intelligence artificielle ne sera que
partiellement intégrée et dépendra d’une formation. Je pense que cela créera
des inégalités entre ceux qui pourront l’intégrer et les autres », expose
la directrice d’école maternelle.
Là est
la difficulté pour les prochaines générations de professeurs. Nous pouvons
imaginer les futurs enseignants apprendre pendant leurs études comment corriger
une copie avec une intelligence artificielle, là où les promotions précédentes
manient uniquement le stylo et leur cerveau. Des inégalités vont certainement
se creuser en salle des profs, dans les classes, et pour les corrections
d’examens finaux.
«
L’éducation nationale est à plusieurs vitesses selon l’endroit où tu habites,
les moyens ne sont pas les mêmes. » En
pratique, tous les établissements scolaires ne sont pas logés à la même
enseigne, tous ne sont pas équipés en informatique, idem pour les élèves. Nous
pouvons nous rappeler, il y a cinq ans, la crise sanitaire du Covid 19 avait
creusé des inégalités entre les établissements et les élèves. 5 % des élèves en
France – 13 % des collégiens en REP – ne disposaient pas d’un ordinateur à la
maison selon l’Education nationale. Or, si les cours venaient à se faire en
intelligence artificielle, les révisions à domicile également…
Et en
2025, ces difficultés continuent. Sandrine Esposito en témoigne : « Pour ma
part, mon école maternelle est équipée depuis une quinzaine de jours du projet
École numérique et Industrie mais ces écrans ne sont pas reliés à internet.
Donc pour l’instant l’IA est encore à des années lumières de nous. »
Suivre le modèle chinois,
fausse bonne idée ?
Alors
que le chercheur en sciences sociales Benjamin Lorre explique que certains
enseignements dans le domaine universitaire proposent des cours d'histoire de
l'IA et de la culture technique aux étudiants. La Chine, elle, commence à
éduquer ses enfants avec des cours d’intelligence artificielle dès le primaire.
Un coup
d’avance pour la Chine ? C’est la question légitime que peuvent se poser les différents
pays. L’Empire du milieu intègre à son programme au primaire et au secondaire
des cours « utilisant des compagnons IA, des assistants de recherche IA et
d’autres agents intelligents pour faciliter l’apprentissage par dialogue
humain-machine » a fait savoir la Commission municipale de l’éducation de
Pékin. Disponible uniquement à Pékin, ces huit heures de cours par année
scolaire seront organisées dès septembre.
Le
spécialiste évoque « une culture de l’IA » dans les établissements
scolaires avec « l'appui des informaticiens et des médiateurs sur le sujet »,
des gens qui connaissent les tenants et les aboutissants pour inculquer ces
connaissances dès « la fin collège ou le début lycée ».
Pour le
primaire ? « Cela me paraît beaucoup trop tôt et pas du tout en adéquation
avec une évolution naturelle. Les enfants ont besoin de concret,
d’expérimentation, de vécu. L’IA demande une capacité d’abstraction qui n’est
pas à la portée de tous, à cet âge-là », contredit la directrice d’école
maternelle. Ces cours, peu importe le niveau, pourraient être encadrés par «
de la prévention », pour la professeure d’anglais qui y voit toujours une
manière d’enseigner mais différente. « On ne peut pas enseigner sans
continuer à apprendre », conclut-elle.
Tessa Biscarrat