La Commission indépendante
sur l’inceste et les violences faites aux enfants (Ciivise) a été prolongée
jusqu’en octobre 2026. Si le collège directeur salue cette décision et apprécie
le dialogue « continu » avec les gouvernements successifs, il
regrette que les arbitrages ministériels aient mis de côté certaines des
propositions phares, comme l’ordonnance de protection pour les enfants ou
l’imprescriptibilité des violences sexuelles sur les mineurs.
« C'est une victoire
qui consacre de longs et intenses mois de travail de tous les membres experts
bénévoles de la commission », se réjouissent ainsi les membres de la
Commission dans un communiqué diffusé ce lundi 7 avril. L’information a été annoncée par la ministre
des Solidarités et des familles elle-même, dimanche 6 avril, dans un entretien
accordé à Libération.
Renouvelée jusqu’en octobre
2026 par Catherine Vautrin, la Commission indépendante sur l’inceste et les
violences faites aux enfants (Ciivise) rend hommage à cette décision, « qui
montre que le gouvernement a compris l’intérêt et la nécessité d’une instance
dédiée pour lutter contre l’inceste et les violences sexuelles faites aux
enfants », et qui lui permettra de prolonger ses travaux de
prévention, de pédagogie, de lobbying et d’actions de terrain.
En novembre 2023, 82
recommandations et un premier rapport constituaient une première feuille de
route à destination du gouvernement. L’ampleur du phénomène des violences incestueuses a toutefois conduit la
Ciivise à lister début mars 15 mesures d’urgence, identifiées
par le collège directeur – pédopsychiatres, magistrats, gendarmes, victimes et
présidents d’associations - qui composent cette instance indépendante.
Depuis son installation en
2020 par Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de l’enfance, la Ciivise a
recueilli 30 000 témoignages et entendu des personnes victimes dans toute la
France.
L’abandon de l’ordonnance de
protection pour les enfants, une décision jugée « alarmante »
Un temps retardés par
l’instabilité politique, les arbitrages ministériels concernant les travaux de
la Ciivise et le renouvellement de ses missions ne seraient pourtant qu’une « réussite
partielle », déplore le communiqué. Aujourd'hui, parmi les 15 mesures
identifiées comme prioritaires, seules neuf ont été arbitrées positivement par
le gouvernement.
Ont ainsi été approuvés
l’encadrement des examens médico-légaux intrusifs, la clarification des
obligations de signalement des médecins et leur protection par la justice,
l’éducation à la vie affective et sexuelle, la mise en place d’un
administrateur ad hoc pour les enfants victimes ou encore le
renforcement des dispositifs de prévention et de repérage.
« Le déploiement des UAPED
partout sur le territoire ainsi que la garantie pour les victimes d’un accès à
des soins spécialisés en psycho-trauma sont des mesures importantes dont il
faudra préciser les modalités », relève également la Ciivise.
« Nous ne sommes pas
étonnés de ces arbitrages positifs », réagit Alice Casagrande,
secrétaire générale de la Ciivise, qui souligne l’ampleur du travail mené par
la commission mais aussi par les administrations. « Le ministère de la
Santé a énormément travaillé sur nos sujets, et il y a eu une forte prise de
conscience. Sur la protection des médecins qui signalent les faits, il y avait
de vrais enjeux. »
La Commission regrette
pourtant les arbitrages défavorables qui ont concerné ces propositions urgentes.
L’abandon de la création d’une ordonnance de protection pour les enfants
constitue la « plus grosse déception ». « C’est le
refus qui nous paraît le moins fondé, regrette Alice Casagrande. A ce
sujet, je citerais Myriam David* : ‘Qui peut penser qu’un petit enfant
peut attendre ?’ Les enquêtes sont longues, et on parle de protéger les
enfants ! Cette absence de réponse est alarmante. Notre proposition n’a
même pas été examinée. Mais on ne la lâchera pas. »
Le 11 mars, la députée
(MoDem) Perrine Goulet a déposé une proposition de loi sur la base des
préconisations de la Ciivise, qui donne de nouvelles prérogatives aux parquets.
L’ordonnance de protection permettrait entre autres qu’après un signalement
d’un enfant en danger, le procureur ou le juge des enfants puisse suspendre les
droits de visite à titre conservatoire pour un mois.
« Nous avons prouvé
qu’on avait un rôle à jouer »
Autre déception pour la
Ciivise, le refus du prolongement des débats sur l’imprescriptibilité des viols
et des agressions sexuelles sur mineurs, proposition issue pourtant « d’une
demande massive des victimes ».
« Même si le
gouvernement ne s’en est pas emparé, l’imprescriptibilité reste un axe de
travail pour nous, poursuit Alice Casagrande. Nous n’avons pas eu
de réponse là non plus, et les politiques comme les magistrats restent, à ce
sujet, très partagés. Mais quelque chose bouge, ils réfléchissent. On le voit
avec l’adoption d’une nouvelle définition pénale du viol ou les discussions
autour du contrôle coercitif. »
Reste qu’il est difficile
d’avoir gain de cause sur ces sujets ultra sensibles. Parmi les autres
recommandations, la reconnaissance par la loi de l’inceste entre cousins :
là encore, le gouvernement n’a pas apporté de réponse favorable.
Inspiré du dispositif
québécois « Programme Témoin Enfant » le fait de mieux préparer les mineurs
victimes aux procès a lui aussi été mis de côté par l’exécutif, qui « estime
que cela est déjà mis en œuvre », déplore la Ciivise.
« On est contents
d’avoir eu ces étapes intermédiaires, reconnaît pour autant Alice
Casagrande. Il n’y avait pas eu d’arbitrage depuis novembre 2023. Parvenir à
mettre son sujet à l’agenda du gouvernement, c’est déjà une victoire. Il y a eu
une confiance mutuelle et nous avons prouvé qu’on avait un rôle à jouer. »
Mylène
Hassany
*Psychanalyste, pédiatre et
psychiatre française, ndlr