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Les missions de la Ciivise prolongées, une « victoire » au goût d’inachevé

Les missions de la Ciivise prolongées, une « victoire » au goût d’inachevé
Publié le 08/04/2025 à 12:01

La Commission indépendante sur l’inceste et les violences faites aux enfants (Ciivise) a été prolongée jusqu’en octobre 2026. Si le collège directeur salue cette décision et apprécie le dialogue « continu » avec les gouvernements successifs, il regrette que les arbitrages ministériels aient mis de côté certaines des propositions phares, comme l’ordonnance de protection pour les enfants ou l’imprescriptibilité des violences sexuelles sur les mineurs.

« C'est une victoire qui consacre de longs et intenses mois de travail de tous les membres experts bénévoles de la commission », se réjouissent ainsi les membres de la Commission dans un communiqué diffusé ce lundi 7 avril.  L’information a été annoncée par la ministre des Solidarités et des familles elle-même, dimanche 6 avril, dans un entretien accordé à Libération.

Renouvelée jusqu’en octobre 2026 par Catherine Vautrin, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences faites aux enfants (Ciivise) rend hommage à cette décision, « qui montre que le gouvernement a compris l’intérêt et la nécessité d’une instance dédiée pour lutter contre l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants », et qui lui permettra de prolonger ses travaux de prévention, de pédagogie, de lobbying et d’actions de terrain.

En novembre 2023, 82 recommandations et un premier rapport constituaient une première feuille de route à destination du gouvernement. L’ampleur du phénomène des violences incestueuses a toutefois conduit la Ciivise à lister début mars 15 mesures d’urgence, identifiées par le collège directeur – pédopsychiatres, magistrats, gendarmes, victimes et présidents d’associations - qui composent cette instance indépendante. 

Depuis son installation en 2020 par Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de l’enfance, la Ciivise a recueilli 30 000 témoignages et entendu des personnes victimes dans toute la France.

L’abandon de l’ordonnance de protection pour les enfants, une décision jugée « alarmante »

Un temps retardés par l’instabilité politique, les arbitrages ministériels concernant les travaux de la Ciivise et le renouvellement de ses missions ne seraient pourtant qu’une « réussite partielle », déplore le communiqué. Aujourd'hui, parmi les 15 mesures identifiées comme prioritaires, seules neuf ont été arbitrées positivement par le gouvernement.

Ont ainsi été approuvés l’encadrement des examens médico-légaux intrusifs, la clarification des obligations de signalement des médecins et leur protection par la justice, l’éducation à la vie affective et sexuelle, la mise en place d’un administrateur ad hoc pour les enfants victimes ou encore le renforcement des dispositifs de prévention et de repérage.

« Le déploiement des UAPED partout sur le territoire ainsi que la garantie pour les victimes d’un accès à des soins spécialisés en psycho-trauma sont des mesures importantes dont il faudra préciser les modalités », relève également la Ciivise.

« Nous ne sommes pas étonnés de ces arbitrages positifs », réagit Alice Casagrande, secrétaire générale de la Ciivise, qui souligne l’ampleur du travail mené par la commission mais aussi par les administrations. « Le ministère de la Santé a énormément travaillé sur nos sujets, et il y a eu une forte prise de conscience. Sur la protection des médecins qui signalent les faits, il y avait de vrais enjeux. » 

La Commission regrette pourtant les arbitrages défavorables qui ont concerné ces propositions urgentes. L’abandon de la création d’une ordonnance de protection pour les enfants constitue la « plus grosse déception ». « C’est le refus qui nous paraît le moins fondé, regrette Alice Casagrande. A ce sujet, je citerais Myriam David* : ‘Qui peut penser qu’un petit enfant peut attendre ?’ Les enquêtes sont longues, et on parle de protéger les enfants ! Cette absence de réponse est alarmante. Notre proposition n’a même pas été examinée. Mais on ne la lâchera pas. »

Le 11 mars, la députée (MoDem) Perrine Goulet a déposé une proposition de loi sur la base des préconisations de la Ciivise, qui donne de nouvelles prérogatives aux parquets. L’ordonnance de protection permettrait entre autres qu’après un signalement d’un enfant en danger, le procureur ou le juge des enfants puisse suspendre les droits de visite à titre conservatoire pour un mois.

« Nous avons prouvé qu’on avait un rôle à jouer »

Autre déception pour la Ciivise, le refus du prolongement des débats sur l’imprescriptibilité des viols et des agressions sexuelles sur mineurs, proposition issue pourtant « d’une demande massive des victimes ».

« Même si le gouvernement ne s’en est pas emparé, l’imprescriptibilité reste un axe de travail pour nous, poursuit Alice Casagrande. Nous n’avons pas eu de réponse là non plus, et les politiques comme les magistrats restent, à ce sujet, très partagés. Mais quelque chose bouge, ils réfléchissent. On le voit avec l’adoption d’une nouvelle définition pénale du viol ou les discussions autour du contrôle coercitif. »

Reste qu’il est difficile d’avoir gain de cause sur ces sujets ultra sensibles. Parmi les autres recommandations, la reconnaissance par la loi de l’inceste entre cousins : là encore, le gouvernement n’a pas apporté de réponse favorable.

Inspiré du dispositif québécois « Programme Témoin Enfant » le fait de mieux préparer les mineurs victimes aux procès a lui aussi été mis de côté par l’exécutif, qui « estime que cela est déjà mis en œuvre », déplore la Ciivise.

« On est contents d’avoir eu ces étapes intermédiaires, reconnaît pour autant Alice Casagrande. Il n’y avait pas eu d’arbitrage depuis novembre 2023. Parvenir à mettre son sujet à l’agenda du gouvernement, c’est déjà une victoire. Il y a eu une confiance mutuelle et nous avons prouvé qu’on avait un rôle à jouer. »

Mylène Hassany

*Psychanalyste, pédiatre et psychiatre française, ndlr

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