En 2024, les recouvrements en la matière se sont élevés à 121 millions d'euros, soit une augmentation de 50 % par rapport à l'année précédente. En cause notamment, l'essor du data mining.
Devant l'Assemblée nationale, le président de la Cour
des comptes Pierre Moscovici pointait, le 16 avril dernier, le poids de la fraude sociale. 7
milliards d'euros seraient restées impayées à l'URSSAF, selon le rapport 2024 du Haut
conseil du financement de la protection sociale. Sur les fraudes constituées par du travail clandestin, seules 10 % des cotisations sociales ont finalement été recouvrées en 2023 par les organismes de protection sociale. Mais en 2024, « le
montant des recouvrements liés au travail dissimulé s'est élevé à 121 millions
d'euros, soit une augmentation de 50 % par rapport à 2023 », précise Dominique Libault,
directeur du Haut conseil de financement de la protection sociale (HCFPS), mi-avril, lors d'une conférence à l'Université Clermont-Auvergne. En cause, de nouvelles stratégies de recouvrement en cours de développement.
Data mining et devoir de vigilance des entreprises tierces
Parmi elles, l'essor du data mining, explique Stéphanie Demange,
responsable de la lutte contre le travail dissimulé à l'URSSAF. « On réalise un croisement de
données, sur les bases des différentes administrations à notre disposition
parmi lesquelles la déclaration préalable à l'embauche, la déclaration sociale
nominative et le chiffre d'affaires. »
Le Gouvernement compte aussi sur le
devoir de vigilance des entreprises tierces. Ces entreprises doivent s'assurer
que leurs cocontractants sont à jour de leurs obligations sociales en demandant
une attestation de vigilance auprès de l'URSSAF. En cas d'insolvabilité de
l'entreprise sous-traitante, les donneurs d'ordre sont tenus à la solidarité
des dettes auprès de l'URSSAF. Objectif : inciter les entreprises
à ne pas encourager la fraude. Un décret en Conseil d'État devrait ainsi paraître
dans les prochains mois pour préciser le recours des organismes de protection
sociale à la solidarité financière.
En 2024, 557 actions liées à l'exécution de la
solidarité financière ont été réalisées, avait annoncé, le 25 mars, à l'Assemblée nationale, Charlotte
Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail. En dehors de ces actions, le recouvrement des cotisations dans le cas du travail dissimulé demeure complexe, puisque les fraudeurs organisent leur insolvabilité. La dissolution de l'entreprise empêche alors l'URSSAF de récupérer les sommes auprès de la personne morale.
Il est parfois difficile de distinguer la fraude sociale de l'erreur de gestion, remarque le directeur du HCFPS. « La branche recouvrement, pour ce qui est du travail clandestin, bénéficie d'un atout pour distinguer l'intentionnalité » : la déclaration préalable à l'embauche, dont l'absence est facilement révélatrice de la fraude.
Une responsabilité pénale nécessitant
l'intervention du juge
Sauf si le procureur de la République le
requiert, les juges ne sont pas obligatoirement saisis pour qu'une sanction
soit prononcée à l'encontre d'un fraudeur. L'URSSAF ne dispose de son côté que de moyens
limités pour sanctionner l'entreprise - sanctions qui n'ont qu'un caractère civil -, en
prononçant des amendes administratives et en effectuant des redressements.
Mais
les réseaux de travail illégal impliquent des actions conjointes, c'est-à-dire
le contrôle par les inspecteurs de l'URSSAF, complété par une action pénale
rapide avec les moyens d'enquête des magistrats et des officiers de police
judiciaire. C'est notamment dans ce cadre que les comités opérationnels
départementaux anti-fraudes (les CODAF) ont été créés en 2010. Ces derniers
sont présidés par le procureur, avec lequel les agents de contrôle de l'URSSAF
collaborent, ainsi que toutes les administrations concernées ; dont la police
aux frontières et la caisse d'assurance maladie. Une organisation qui permet le
partage rapide des informations entre les différents services et des actions de
plus grande ampleur entreprises en commun. Le secret fiscal est alors levé
entre les administrations concernées le temps des opérations.
En matière de travail
dissimulé, l'entreprise et son dirigeant peuvent être tous deux poursuivie,
puisque « le cumul des responsabilités est possible », explique Laure Moisset,
vice-procureure de la république à Clermont-Ferrand. La responsabilité des dirigeants
est engagée et le recouvrement est forcé sur son patrimoine personnel.
Cependant, pour de telles poursuites, la faute du dirigeant doit être
considérée comme détachable de son service, c'est-à-dire commise en dehors des
finalités de sa fonction de dirigeant. Il est donc poursuivi pénalement, mais
aussi civilement si les salariés ou les associés s'estiment lésés par les
conséquences économiques de la fraude.
Dans le cadre d'une procédure
pénale, les magistrats peuvent effectuer des saisies qui sont transférées à
l'AGRASC (Agence de gestion de recouvrement des avoirs et saisis et
confisqués). Le juge prud'homal peut aussi requalifier la prestation de service
en contrat de travail si le donneur d'ordre exerce dans les faits un pouvoir de
contrôle, de direction et de sanction sur le prestataire et que celui-ci est en
état de dépendance économique vis-à-vis du commanditaire.
Des prestations de services requalifiées
en contrat de travail
Parmi les modes de dissimulation du
travail, « On estime que 56 % de ces fraudes sont causées par
des indépendants, par du travail dissimulé » précise le directeur de l'HCFPS, qui souhaite que les
conseils de prud'hommes requalifient plus souvent les situations dans
lesquelles les micro-entrepreneurs sont utilisés comme des salariés.
Concrètement, le
travailleur de l’entreprise individuelle exécute un contrat de sous-traitance pour
l'entreprise qui est facturée. L'entreprise bénéficiaire de la prestation ne verse
pas un salaire à un employé mais effectue un règlement qui sera comptabilisé
comme du chiffre d'affaires, et, de son côté, le travailleur de l’entreprise individuelle ne
perçoit aucun droit reconnu aux salariés tels que le chômage, la retraite ou
les congés maladie, puisque son employeur, officiellement son client, ne cotise
pas pour lui. La micro-entreprise sert donc à dissimuler un emploi qui
couterait plus cher à l'entreprise cliente si le prestataire était déclaré
comme salarié.
Alors que le droit à
l'erreur est de mise concernant le versement des cotisations et contributions
sociales, la justice condamne fermement les entreprises contre les défauts de
paiement intentionnels. Les exonérations de charges sociales du donneur d'ordre
sont partiellement annulées en cas de travail dissimulé effectué par un
travailleur présenté comme indépendant. C'est ce que rappelait la Cour de
cassation le 20 mars dernier.
Mais si le taux de
recouvrement des cotisations s'améliore en 2024, il reste insuffisant. D'autant que l'administration et la justice ne peuvent pas intervenir sur les causes directes du travail dissimulé, notamment économiques. Face aux difficultés qui perdurent, la Convention d'objectifs et de gestion
des affaires familiales et de sécurité sociale 2023-2027 prévoit la création de
nouveaux postes de contrôleurs.
Antonio Desserre