Le gouvernement a annoncé un fonds d'investissement de 450 millions
d'euros dans lequel les Français pourront investir. Une mobilisation de
l'épargne des ménages loin de remplir les besoins totaux estimés à cinq
milliards d'euros pour le réarmement.
Poussée par les revirements
des États-Unis sur la guerre en Ukraine, l'Europe entame un vaste plan de
réarmement prévu à 800 milliards d'euros. La France n'y échappe pas, au
contraire. Lors de son allocution télévisée le 5 mars dernier, le chef de
l'Etat a martelé cette ambition avec une contrainte néanmoins : pas de hausse
de fiscalité. Emmanuel Macron a appelé à «
mobiliser des financements privés, mais aussi des financements publics, sans
que les impôts ne soient augmentés ».
L'idée de recourir à
l'épargne des Français a alors émergé dans les discussions. Avec plus de 6400
milliards d'euros, l'épargne des ménages a de quoi susciter l'intérêt d'un
gouvernement qui estime à cinq milliards d'euros le financement du réarmement.
D'autant que le bas de laine des Français a la réputation d'être plutôt
dormant. Si l'impression est exagérée - cette épargne finance les crédits,
soutient les PME, etc. -, il est vrai que l'argent placé joue souvent la carte
de la sécurité, livrets et assurances-vie ayant les faveurs d'une large
majorité d'épargnants.
Un
ticket d'entrée à 500 euros
Puisqu'il n'est pas question
de se servir librement dans cette épargne, l'enjeu pour le gouvernement est de
séduire les Français avec un produit attractif mais rassurant. Le ministre de
l'Economie Éric Lombard en a dessiné les contours fin mars.
Via la Banque
publique d'investissement (Bpifrance), un fonds de près d'un demi-milliard
d'euros va voir le jour dans lequel les épargnants volontaires pourront prendre
part à partir de 500 euros et sans plafond. Cet argent sera bloqué au minimum
cinq ans et aucun taux de rémunération n'a été fixé. S'ils comportent une part
de risque, « ce sont de bons
placements car nous devons augmenter notre effort de défense nationale dans la
durée », rassure le ministre de l'Economie.
Concrètement, ce fonds
permettra de « devenir indirectement
actionnaire des entreprises du secteur de la défense », explique Éric
Lombard. Car ce sont elles qui vont en bénéficier. « Le secteur va recevoir une hausse soudaine des commandes, il va
donc falloir l'aider à encaisser ce choc en matière de recherche, de
développement, de production… », observe Jacques Aben, professeur
émérite à l'université de Montpellier, spécialiste de l'économie de la défense.
Des
grands groupes mais surtout des PME
Bpifrance va ainsi contribuer
au financement de la base industrielle et technologique de défense (BITD) à
travers neuf grands groupes comme Dassault Aviation, Safran, Thales ou Airbus,
ainsi que près de 4500 PME et ETI, d'après les chiffres de Bercy.
« En
réalité, ce sont surtout les PME qui vont en profiter car ce sont elles qui
peuvent avoir des difficultés de financement,
estime Jacques Aben. Les grands groupes
peuvent se financer eux-mêmes sur le marché. » Une lecture qui
explique en partie le montant annoncé du fonds. Avec 450 millions d'euros,
l'effort n'apparaît pas hors norme, même s'il peut augmenter dans les prochains
mois. Pour un groupe international, il peut sembler plutôt faible, mais il
pourrait s'avérer précieux dans une PME pour qui un investissement d'un million
d'euros n'est pas anodin.
Il n'empêche, au regard des
cinq milliards estimés par le ministère de l'économie, le besoin de financement
du réarmement est loin d'être comblé. Quelles autres pistes existent ? D'abord
mobiliser la finance et les gros investisseurs privés. Pour montrer l'exemple,
l'Etat a annoncé apporter 1,7 milliard d'euros à travers les investisseurs
publics Bpifrance et la Caisse des dépôts, avec l'objectif de lever au total
les cinq milliards envisagés grâce aux partenaires privés.
Mais la tâche n'est pas
simple, car l'industrie de l'armement n'a pas une bonne image. En témoigne la
classification du secteur parmi les industries de relevant pas
d'investissements responsables dans la taxonomie européenne, au même titre que
le tabac, les jeux d'argent ou la pornographie. Le gouvernement cherche donc à
séduire la place financière.
« Capitalisme et
patriotisme sont indissociables »
Bercy et le ministère de la
Défense s'accordent pour motiver banquiers, assureurs et fonds d'investissement
à prendre leur part dans cette réindustrialisation. « Capitalisme et patriotisme sont indissociables », a
résumé le ministre des Armées Sébastien Lecornu lors d'une rencontre avec des
représentants du secteur à la fin du mois de mars.
La carte patriotique est
également mobilisée pour les épargnants individuels pour qui la question de
l'image de ces placements pourrait aussi se poser. « L'argument moral est de plus en plus présent dans les décisions
d'épargne des Français, l'exécutif essaie alors de contrebalancer en jouant sur
la crainte de la guerre », note Jacques Aben.
Reste un mode de financement
pour l'heure discret dans les discours de l'exécutif : l'emprunt. Pas étonnant,
alors qu'il y a quelques semaines encore les discussions sur le budget
consistaient à inspecter la moindre ligne de dépenses dans l'espoir d'une économie
potentielle à réaliser. Il s'agit pourtant d'un levier habituel pour financer
la guerre.
Le principal exemple date de
1914 et du grand emprunt national. En plus de l'impôt et de la création
monétaire, la France avait abondamment émis des titres du trésor pour soutenir
les dépenses de guerre. A la fin de la Première Guerre mondiale, les Français
possédaient plus de 30 milliards de francs de bons de la défense nationale et
la dette publique avait été multipliée par six.
Une situation envisageable
aujourd'hui ? « Quand il s'agit de
guerre, la dette n'est plus un vraiment un sujet, constate le professeur
émérite. Elle est renvoyée au retour de
la paix voire plus loin encore, comme en 1945 quand le général De Gaulle a
décidé de ne pas rembourser immédiatement la dette accumulée afin de ne pas
écraser les Français sous l'austérité après les années de guerre. »
Autre indice : ce mouvement
de réarmement est suivi par l'Allemagne et les pays nordiques pourtant réputés
réticents à la dépense publique. Ce renoncement à leur frilosité budgétaire
pourrait être un signal pour emprunter.
Louis
Faurent