DROIT

Données physiologiques des sportifs : quelles menaces de détournement ?

Données physiologiques des sportifs : quelles menaces de détournement ?
Publié le 10/04/2025 à 18:00

SERIE (3/3). Alors que le règlement sur l'Espace européen des données de santé (EEDS) est entré en vigueur le 20 mars 2025 pour garantir la souveraineté numérique, les données physiologiques des sportifs continuent d'être captées par des applications basées en dehors de l'Union européenne.

Comme la création française du Sport Data Hub, le futur entrepôt numérique européen ne suffira pas en lui-même pour empêcher les fuites d’informations. L'EEDS, qui sera progressivement mis en ligne dès 2027, permettra deux types d'accès aux data : celui concernant le suivi médical, et celui pour la recherche et l'innovation. Il est prévu que les patients puissent s'opposer à l'enregistrement de leurs données, mais pour ceux qui l'accepteront, le risque de réutilisation à d'autres fins n'est pas rendu impossible par le règlement.

Les informations accessibles aux entreprises ne seront disponibles qu'après anonymisation des patients, et sur autorisation par un guichet unique dans chaque État-membre. Selon le texte « Il est interdit à l'utilisateur de tenter de réidentifier les personnes concernées. ». Cette disposition alerte sur le fait qu'une identification des patients soit possible. Avant même la mise en ligne de cette base de données, le règlement qui l'encadre est un aveu d'impuissance face à l'enjeu de protection des informations sensibles. Rien ne garantit l'anonymat auprès des opérateurs privés. Ce règlement, qui a été publié le 5 mars, a pourtant pour objet de contrôler les risques de fuite de ces data.

Selon le RGPD (règlement général de protection des données), est considérée comme une donnée de santé, toute information qui révèle l'état de santé. Les indicateurs de performance sportive relèvent donc de cette catégorie. En dehors de la prise en charge médicale, il arrive que les sportifs publient eux-mêmes leurs relevés physiologiques sur Internet sans savoir qui les utilisera ensuite. C'est le cas lorsqu'un influenceur évoque ses capacités et se sert de son réseau pour collecter des informations sur ses followers. Des défis sont proposés aux abonnés qui y répondent en postant leurs résultats en commentaires.

« On a un risque de profilage »

Selon Anaïs Szokinspki, professeure de droit à Paris-Saclay, les agences d'influenceurs, au prétexte d'établir un lien entre annonceurs et influenceurs, recueillent les données des utilisateurs sans qu'ils en soient informés. Dans ce réseau d'intermédiaires entre annonceurs et followers, les agences justifient les profilages par le partage public des données des sportifs. Selon la professeure « On peut s'interroger sur le délitement du consentement de la personne concernée à la divulgation de ses informations. ». Le 30 avril dernier, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que le recueil des informations personnelles, même accessibles librement sur Internet, est déloyal dès lors qu'il se fait à l'insu de l'internaute.

Les entreprises qui développent les applications de performances ont un objet commercial. Cependant, WeWard, une application gratuite qui utilise la géolocalisation du téléphone de ses utilisateurs, apparaît comme philanthropique. Même si elle ne collecte pas directement d'informations sur la santé du sportif par le biais d'objets connectés, elle enregistre sa performance en calculant sa distance, son dénivelé et sa fréquence d'utilisation. 

Les marcheurs peuvent aussi transmettre à l'application des photographies de leurs tickets de caisse pour se voir attribuer des récompenses pour leurs achats. Ils adhèrent à des conditions générales d'utilisation selon lesquelles leurs données seront transmises à l'application. En acceptant ces CGU, les utilisateurs deviennent des prospects potentiels. L'application prétend pourtant que sa raison d'être est la santé des utilisateurs, et non la réutilisation de leurs données.

D'autres applications procèdent de la même manière avec des objets connectés utilisés par les sportifs amateurs comme Garmin ou Catapult. Ces applications sont gérées par des entreprises basées en dehors de l'Union européenne. L’exploitation dévoyée des données peut comporter un risque sérieux pour la sécurité nationale comme l’a révélé le Monde en début d’année à propos de Strava.

Des objets connectés qui mènent à une perte de souveraineté numérique

Selon Maximilien Lanna, professeur de droit à l'Université de Lorraine : « Étant donné la particularité du domaine sportif, il ne s'agit plus de s'insérer dans le cadre d'une souveraineté numérique européenne. La mise en ligne du Sport Data Hub témoigne qu'il existe encore aujourd'hui des domaines dans lesquels une souveraineté numérique nationale prime. » Cependant, avoir créé une base de données nationale centralisant les informations des sportifs de haut niveau ne résout pas tout. 

Ainsi, les informations des sportifs de haut niveau accessibles par le biais du SDH proviennent partiellement de données enregistrées par des objets connectés (1/3) de marques étrangères. Les données sont donc d'abord recueillies par ces entreprises qui ne sont pas soumise à une extraterritorialité du RGPD, comme aux États-Unis.

« On a aussi des data centers en France, donc on est plutôt souverains et on fait en sorte que nos données restent en France. » explique Benoit Schuller, responsable du Sport Data Hub. Mais, la règlementation européenne ne répond pas à la question de la dépendance numérique du milieu sportif français à ces entreprises. « L'intérêt de passer par le service public, c'est de garder une forme de contrôle face à des vocations commerciales. Tout ce qui est collecté à travers le SDH n'a pas le droit d'avoir une vocation commerciale. C'est une interdiction dans le décret. » 

Bien que les données centralisées dans le SDH soient gérées par des entités publiques, aucune règle de droit international ne permet de contrôler une réutilisation des données recueillies sur les applications à l'étranger. Les bases de données publiques n'assurent aucune protection supplémentaire aux sportifs que ce que les CGU leurs promettent de respecter.

La mise en ligne de ses données physiologiques n'est possible qu'avec l'accord du sportif au sein des espaces numériques publics, ou à son initiative sur les réseaux sociaux et applications. Néanmoins, ses caractéristiques pourraient être réutilisées à d'autres fins que la santé contre son gré. Le cadre européen est insuffisant pour lutter contre le risque de détournement du consentement.

Antonio Desserre

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