Face
à l'urgence de protéger les océans, Jean-Louis Fillon, président de la section
droit et économie à l’Académie de marine, propose la création d'une COP Océan,
inspirée des COP Climat et Biodiversité.
A l’heure du changement
climatique et du déclin de la biodiversité, pourquoi ne pas envisager une instance de gouvernance mondiale spécifique, à l’image d’une COP Océan ? C'est l'idée que Jean-Louis Fillon, président de la section droit et économie à l’Académie de marine, a défendue lors du Colloque des Académies de marine européennes, fin mars à Marseille.
Au même titre que les COP (Conférences des Parties) Climat et Biodiversité, une telle instance permettrait une coordination globale de mettre en place des mesures concrètes telles que la lutte contre la pollution marine, la régulation de la navigation en zones sensibles et la prévention de la criminalité en mer, estime Jean-Louis Fillon, qui est également délégué général de l’Institut français de la mer (IFM).
Selon ce dernier, le fait qu’il n’existe pas
encore une COP dédiée aux océans est une « réalité paradoxale ».« Alors que la COP
Climat en est à sa 29e édition [la dernière a eu lieu en novembre 2024 à Bakou,
en Azerbaïdjan], la COP Biodiversité à sa 16e édition [la dernière s’est
achevée en février 2025, à Rome], nous en sommes à zéro pour la COP Océan ».
« Nous sommes donc en
droit de nous interroger sur l'immobilisme apparent du droit de la mer, en tous
cas dans son expression majeure qu’est la Convention des nations unies sur le
droit de la mer de 1982. » Cette convention, entrée en
application en 1994, réunit la quasi-totalité des États, à l’exception - entre
autres - des États-Unis. « L'immobilisme
contraste avec le mouvement qui anime les deux conventions de 1992 sur le
changement climatique et la biodiversité », martèle Jean-Louis Fillon.
Adoptées lors du Sommet de la
Terre de Rio, ces deux conventions – la Convention-cadre des Nations unies sur
les changements climatiques (CCNUCC) et la Convention sur la diversité
biologique (CDB) – ont pour objectif de coordonner l’action internationale face
aux menaces pesant sur le climat et la biodiversité. C’est grâce à elles que
les COP Climat et Biodiversité existent aujourd’hui.
Les
avantages d’une COP
Pour Jean-Louis Fillon, la
vitalité des deux conventions de 1992 repose très certainement sur l’existence
de ces fameuses COP Climat et Biodiversité. « Les COP sont les organes
suprêmes de la gouvernance des traités. Elles visent à évaluer le degré
d’application et à renforcer les engagements pris »,
explique-t-il.
Outre les États parties,
elles rassemblent les représentants de diverses collectivités dont des acteurs
non étatiques issus de la société civile et de la communauté scientifique. «
C’est en cela la clé de leur succès médiatique. »
« Les COP sont non
seulement le lieu de négociation politique intergouvernementale, mais aussi
d’ateliers et de forum ouverts à la société civile. Il se déroule également des
événements parallèles qui servent de tribune aux ONG, avec un écho tout à fait remarquable
pour le grand public », développe Jean-Louis
Fillon. Au contraire, la Convention
des Nations unies sur le droit de la mer de 1982 paraît « figée », comme
vouée à une sorte de « sacralisation ».
« Depuis son adoption
en 1982, nulle n’a osé l’amender, de peur de remettre en question un équilibre
ayant permis de concilier des positions antagonistes sur la territorialisation
de la mer et la liberté de navigation »,
affirme Jean-Louis Fillon. A l’époque, le contexte politique était marqué par
les clivages forts de la Guerre froide et une décolonisation encore récente.
Avec nos yeux d’aujourd’hui, le fait d’être parvenus à une signature peut
sembler un miracle.
Cependant, ce serait une
contre-vérité de dire et de penser que faute d’avoir été modifié, le texte de
la Convention sur le droit de la mer n’a pas vécu. Depuis son entrée en vigueur,
la Convention du droit de la mer a conduit à la mise en place d’institutions
qui, bien qu’ayant mis du temps à s’affirmer, sont aujourd’hui très
sollicitées, comme en témoignent les récentes jurisprudences du Tribunal international
du droit de la mer.
La Convention sur le droit de
la mer bénéficie en outre d’une sorte de gouvernance onusienne. L’assemblée
générale des Nations unies adopte tous les ans une résolution consacrée au
droit de la mer, le secrétaire général des Nations unies supervise la Convention
par l’intermédiaire de la division des affaires maritimes et du droit de la
mer. Enfin, il existe une réunion annuelle des États parties, mais qui est
confinée aux seules questions administratives.
Quant au droit de la mer «
technique », lié principalement au transport maritime, il fait l’objet
d’une adaptation permanente en raison de l’action de l’organisation maritime
internationale et de son « cortège de conventions et de codes »,
précise-t-il.
Risque
de marginaliser les questions relatives aux océans
Malgré cette apparente activité,
Jean-Louis Fillon insiste pour dire que la Convention sur le droit de la mer
demeure figée. « Cette
sanctuarisation de la Convention sur le droit de la mer lui fait courir le
risque d’être progressivement marginalisée. » Il
en découle que les grandes questions environnementales, qui intéressent au
premier chef le domaine de l’océan, sont traitées en dehors du cadre du droit
de la mer par les deux conventions Climat et Biodiversité de 1992.
Ainsi, les questions
relatives aux océans sont désormais principalement abordées dans le cadre des
conventions de 1992, qui adoptent une approche plus globale. Ce glissement a
pour conséquence de déplacer le « centre de gravité juridique » en
dehors de la Convention sur le droit de la mer. Il y a ainsi un risque avéré
de sous-estimer le rôle de l’océan et de marginaliser la communauté maritime,
par rapport aux décisions majeures pouvant concerner l’océan.
« Le processus
d’actualisation des deux COP existantes met régulièrement à la une des gazettes
les questions de climat et de biodiversité. Cela permet de produire des normes
politiques ou juridiques, sous la forme de résolutions, voire des normes
contraignantes comme l’accord de Paris adopté en 2015 »,
souligne Jean-Louis Fillon. « Les COP constituent
ainsi un instrument de dialogue et de communication qui leur confère une
légitimité et une publicité que ne connaît pas le droit de la mer, ce qui
contribue en quelque sorte à le marginaliser »,
ajoute-t-il.
Réponse
à des enjeux majeurs dont la criminalité en mer
Jean-Louis Fillon évoque
plusieurs enjeux majeurs dont pourrait se saisir une future COP Océan. Premièrement, les atteintes à
la liberté de navigation, qu'elles soient d’ordre géostratégique ou liées à
l’exploitation économique des mers. Parmi les facteurs d’inquiétude, il cite
l’impérialisme chinois en mer de Chine, mais également la situation dans
l’Arctique dont la gouvernance spécifique est suspendue alors que cet océan
s’ouvre de plus en plus à la navigation, avec tous les risques que cela
implique.
Outre la lutte contre la
pollution, une COP Océan pourrait aussi s’intéresser à l’expansion de la
criminalité en mer (narcotrafic, immigration clandestine, trafic d’armes,
trafic de déchets, etc.). « Voilà qui rend nécessaire de reconsidérer des
règles qui font la part trop belle à la souveraineté du pavillon, lequel peut
devenir le refuge des criminels », commente Jean-Louis Fillon. « Cette COP pourrait
également se saisir des questions liées à la sûreté des fonds marins dont
l’actualité nous montre qu’elle constitue une forme de guerre hybride visant en
particulier des oléoducs, gazoducs, câbles de communication et d’alimentation électrique
», précise-t-il.
Pour toutes ces questions, il
est nécessaire que la communauté internationale dispose d’un espace de
rencontre régulier et pluridisciplinaire, constitué par une COP Océan. « Tout l’intérêt de
cette COP est qu’elle ne serait pas bridée dans son périmètre. Elle pourrait au
contraire s’emparer de tous les sujets relatifs à l’océan, de l’environnement à
la géopolitique, en passant par les sujets sécuritaires ou scientifiques »,
résume-t-il.
Par extension, un mandat de la Conférence sur l'Océan
Jean-Louis Fillon propose de
créer cette COP Océan par une extension du mandat de la Conférence des Nations
Unies sur l'Océan (Unoc), dont la prochaine session aura lieu en juin 2025 à
Nice. « Une COP Océan
donnerait un centre de gravité unique aux multiples négociations et rencontre
sur la gouvernance de l’océan et sur sa protection. Elle éviterait ainsi la
prolifération actuelle de rencontres à géométrie variable »,
insiste-t-il. « Elle permettrait de
donner de l’unité, en même temps que de la visibilité aux questions relatives
aux enjeux de l’océan », poursuit-il.
Cependant, certaines voix
s'élèvent pour dire qu’il y aurait un risque à faire du droit de la mer le
champ d’une négociation permanente, et ainsi de mettre en danger le bel
équilibre qui a présidé lors de la signature de la Convention des nations unies
sur le droit de la mer en 1982. « L’argument ne peut
pas être écarté d’un revers de main, mais il revient à mettre sur le même pied
un risque potentiel et la réalité actuelle d’une paralysie progressive du droit
et de la gouvernance de l’océan », répond Jean-Louis
Fillon.
« Il est temps de
sortir des tabous pour proposer une réforme peut-être audacieuse mais
nécessaire », ajoute-t-il. Jean-Louis Fillon reconnaît
ainsi que la proposition de créer une COP Océan suscite des critiques,
notamment concernant le fait qu'elle ne pourrait pas être directement liée à la
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer car cette dernière ne la
prévoit pas.
« En effet, instituer
une COP Océan nécessiterait de modifier le corps même du texte de la
Convention. Or, la voie directe d’une modification de la Convention est exclue.
Il convient donc de privilégier une approche empirique et indirecte. C’est la
raison pour laquelle nous parlons d’une COP Océan et non pas d’une COP de la
Convention des nations unies sur le droit de la mer. La nuance entre les deux
n’est pas que formelle », analyse-t-il.
Selon lui, cette COP
n’aboutirait pas nécessairement à des textes juridiques contraignants, mais
elle offrirait une gamme de solutions, allant de la simple motion à un traité
international, en passant par des codes de bonne conduite. « De ce fait, la
création d’une COP Océan aura quelques chances de succès si elle privilégie une
approche pragmatique et progressive, en partant de l’existant »,
conclut-il.
Sylvain Labaune