POLITIQUE

« La création d'une COP océan n'a jamais été aussi nécessaire »

« La création d'une COP océan n'a jamais été aussi nécessaire »
Publié le 08/04/2025 à 11:00

Face à l'urgence de protéger les océans, Jean-Louis Fillon, président de la section droit et économie à l’Académie de marine, propose la création d'une COP Océan, inspirée des COP Climat et Biodiversité. 

A l’heure du changement climatique et du déclin de la biodiversité, pourquoi ne pas envisager une instance de gouvernance mondiale spécifique, à l’image d’une COP Océan ? C'est l'idée que Jean-Louis Fillon, président de la section droit et économie à l’Académie de marine, a défendue lors du Colloque des Académies de marine européennes, fin mars à Marseille.

Au même titre que les COP (Conférences des Parties) Climat et Biodiversité, une telle instance permettrait une coordination globale de mettre en place des mesures concrètes telles que la lutte contre la pollution marine, la régulation de la navigation en zones sensibles et la prévention de la criminalité en mer, estime Jean-Louis Fillon, qui est également délégué général de l’Institut français de la mer (IFM).

Selon ce dernier, le fait qu’il n’existe pas encore une COP dédiée aux océans est une « réalité paradoxale ».« Alors que la COP Climat en est à sa 29e édition [la dernière a eu lieu en novembre 2024 à Bakou, en Azerbaïdjan], la COP Biodiversité à sa 16e édition [la dernière s’est achevée en février 2025, à Rome], nous en sommes à zéro pour la COP Océan ».

« Nous sommes donc en droit de nous interroger sur l'immobilisme apparent du droit de la mer, en tous cas dans son expression majeure qu’est la Convention des nations unies sur le droit de la mer de 1982. » Cette convention, entrée en application en 1994, réunit la quasi-totalité des États, à l’exception - entre autres - des États-Unis. « L'immobilisme contraste avec le mouvement qui anime les deux conventions de 1992 sur le changement climatique et la biodiversité », martèle Jean-Louis Fillon.

Adoptées lors du Sommet de la Terre de Rio, ces deux conventions – la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et la Convention sur la diversité biologique (CDB) – ont pour objectif de coordonner l’action internationale face aux menaces pesant sur le climat et la biodiversité. C’est grâce à elles que les COP Climat et Biodiversité existent aujourd’hui.

Les avantages d’une COP

Pour Jean-Louis Fillon, la vitalité des deux conventions de 1992 repose très certainement sur l’existence de ces fameuses COP Climat et Biodiversité. « Les COP sont les organes suprêmes de la gouvernance des traités. Elles visent à évaluer le degré d’application et à renforcer les engagements pris », explique-t-il.

Outre les États parties, elles rassemblent les représentants de diverses collectivités dont des acteurs non étatiques issus de la société civile et de la communauté scientifique. « C’est en cela la clé de leur succès médiatique. »

« Les COP sont non seulement le lieu de négociation politique intergouvernementale, mais aussi d’ateliers et de forum ouverts à la société civile. Il se déroule également des événements parallèles qui servent de tribune aux ONG, avec un écho tout à fait remarquable pour le grand public », développe Jean-Louis Fillon. Au contraire, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982 paraît « figée », comme vouée à une sorte de « sacralisation ».

« Depuis son adoption en 1982, nulle n’a osé l’amender, de peur de remettre en question un équilibre ayant permis de concilier des positions antagonistes sur la territorialisation de la mer et la liberté de navigation », affirme Jean-Louis Fillon. A l’époque, le contexte politique était marqué par les clivages forts de la Guerre froide et une décolonisation encore récente. Avec nos yeux d’aujourd’hui, le fait d’être parvenus à une signature peut sembler un miracle.

Cependant, ce serait une contre-vérité de dire et de penser que faute d’avoir été modifié, le texte de la Convention sur le droit de la mer n’a pas vécu. Depuis son entrée en vigueur, la Convention du droit de la mer a conduit à la mise en place d’institutions qui, bien qu’ayant mis du temps à s’affirmer, sont aujourd’hui très sollicitées, comme en témoignent les récentes jurisprudences du Tribunal international du droit de la mer.

La Convention sur le droit de la mer bénéficie en outre d’une sorte de gouvernance onusienne. L’assemblée générale des Nations unies adopte tous les ans une résolution consacrée au droit de la mer, le secrétaire général des Nations unies supervise la Convention par l’intermédiaire de la division des affaires maritimes et du droit de la mer. Enfin, il existe une réunion annuelle des États parties, mais qui est confinée aux seules questions administratives.

Quant au droit de la mer « technique », lié principalement au transport maritime, il fait l’objet d’une adaptation permanente en raison de l’action de l’organisation maritime internationale et de son « cortège de conventions et de codes », précise-t-il.

Risque de marginaliser les questions relatives aux océans

Malgré cette apparente activité, Jean-Louis Fillon insiste pour dire que la Convention sur le droit de la mer demeure figée. « Cette sanctuarisation de la Convention sur le droit de la mer lui fait courir le risque d’être progressivement marginalisée. » Il en découle que les grandes questions environnementales, qui intéressent au premier chef le domaine de l’océan, sont traitées en dehors du cadre du droit de la mer par les deux conventions Climat et Biodiversité de 1992.

Ainsi, les questions relatives aux océans sont désormais principalement abordées dans le cadre des conventions de 1992, qui adoptent une approche plus globale. Ce glissement a pour conséquence de déplacer le « centre de gravité juridique » en dehors de la Convention sur le droit de la mer. Il y a ainsi un risque avéré de sous-estimer le rôle de l’océan et de marginaliser la communauté maritime, par rapport aux décisions majeures pouvant concerner l’océan.

« Le processus d’actualisation des deux COP existantes met régulièrement à la une des gazettes les questions de climat et de biodiversité. Cela permet de produire des normes politiques ou juridiques, sous la forme de résolutions, voire des normes contraignantes comme l’accord de Paris adopté en 2015 », souligne Jean-Louis Fillon. « Les COP constituent ainsi un instrument de dialogue et de communication qui leur confère une légitimité et une publicité que ne connaît pas le droit de la mer, ce qui contribue en quelque sorte à le marginaliser », ajoute-t-il.

Réponse à des enjeux majeurs dont la criminalité en mer

Jean-Louis Fillon évoque plusieurs enjeux majeurs dont pourrait se saisir une future COP Océan. Premièrement, les atteintes à la liberté de navigation, qu'elles soient d’ordre géostratégique ou liées à l’exploitation économique des mers. Parmi les facteurs d’inquiétude, il cite l’impérialisme chinois en mer de Chine, mais également la situation dans l’Arctique dont la gouvernance spécifique est suspendue alors que cet océan s’ouvre de plus en plus à la navigation, avec tous les risques que cela implique.

Outre la lutte contre la pollution, une COP Océan pourrait aussi s’intéresser à l’expansion de la criminalité en mer (narcotrafic, immigration clandestine, trafic d’armes, trafic de déchets, etc.). « Voilà qui rend nécessaire de reconsidérer des règles qui font la part trop belle à la souveraineté du pavillon, lequel peut devenir le refuge des criminels », commente Jean-Louis Fillon. « Cette COP pourrait également se saisir des questions liées à la sûreté des fonds marins dont l’actualité nous montre qu’elle constitue une forme de guerre hybride visant en particulier des oléoducs, gazoducs, câbles de communication et d’alimentation électrique », précise-t-il. 

Pour toutes ces questions, il est nécessaire que la communauté internationale dispose d’un espace de rencontre régulier et pluridisciplinaire, constitué par une COP Océan. « Tout l’intérêt de cette COP est qu’elle ne serait pas bridée dans son périmètre. Elle pourrait au contraire s’emparer de tous les sujets relatifs à l’océan, de l’environnement à la géopolitique, en passant par les sujets sécuritaires ou scientifiques », résume-t-il.

Par extension, un mandat de la Conférence sur l'Océan

Jean-Louis Fillon propose de créer cette COP Océan par une extension du mandat de la Conférence des Nations Unies sur l'Océan (Unoc), dont la prochaine session aura lieu en juin 2025 à Nice. « Une COP Océan donnerait un centre de gravité unique aux multiples négociations et rencontre sur la gouvernance de l’océan et sur sa protection. Elle éviterait ainsi la prolifération actuelle de rencontres à géométrie variable », insiste-t-il. « Elle permettrait de donner de l’unité, en même temps que de la visibilité aux questions relatives aux enjeux de l’océan », poursuit-il.

Cependant, certaines voix s'élèvent pour dire qu’il y aurait un risque à faire du droit de la mer le champ d’une négociation permanente, et ainsi de mettre en danger le bel équilibre qui a présidé lors de la signature de la Convention des nations unies sur le droit de la mer en 1982. « L’argument ne peut pas être écarté d’un revers de main, mais il revient à mettre sur le même pied un risque potentiel et la réalité actuelle d’une paralysie progressive du droit et de la gouvernance de l’océan », répond Jean-Louis Fillon.

« Il est temps de sortir des tabous pour proposer une réforme peut-être audacieuse mais nécessaire », ajoute-t-il. Jean-Louis Fillon reconnaît ainsi que la proposition de créer une COP Océan suscite des critiques, notamment concernant le fait qu'elle ne pourrait pas être directement liée à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer car cette dernière ne la prévoit pas.

« En effet, instituer une COP Océan nécessiterait de modifier le corps même du texte de la Convention. Or, la voie directe d’une modification de la Convention est exclue. Il convient donc de privilégier une approche empirique et indirecte. C’est la raison pour laquelle nous parlons d’une COP Océan et non pas d’une COP de la Convention des nations unies sur le droit de la mer. La nuance entre les deux n’est pas que formelle », analyse-t-il.

Selon lui, cette COP n’aboutirait pas nécessairement à des textes juridiques contraignants, mais elle offrirait une gamme de solutions, allant de la simple motion à un traité international, en passant par des codes de bonne conduite. « De ce fait, la création d’une COP Océan aura quelques chances de succès si elle privilégie une approche pragmatique et progressive, en partant de l’existant », conclut-il.

Sylvain Labaune

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