POLITIQUE

Quels changements institutionnels pour une possible autonomie de la Corse ?

Quels changements institutionnels pour une possible autonomie de la Corse ?
Publié le 26/02/2025 à 16:02

Pour mettre un terme aux violences liées à la mort de l’assassin du préfet Claude Erignac et militant indépendantiste Yvan Colonna, Emmanuel Macron a relancé le débat sur une possible autonomie de la Corse. Le processus de Beauvau travaille depuis mars 2022 à une révision constitutionnelle. Le projet de loi devrait être soumis au vote d’ici fin 2025.

Ces déplacements en Corse n’ont rien à voir avec des vacances. En février, les députés de la mission d’information de l’Assemblée nationale, suivis, quelques jours plus tard, par le ministre de l’Aménagement du territoire et de la décentralisation, François Rebsamen, se sont rendus sur l’île de Beauté. Au programme : des discussions animées sur l’avenir constitutionnel de la collectivité.

Après plusieurs mois de négociations entre le gouvernement et les élus corses, et la création d’une mission d’information au Sénat, l’Assemblée nationale s’intéresse depuis mi-décembre à l’évolution institutionnelle de l'île avant de proposer une proposition de révision constitutionnelle entre mi-mars et mi-avril. Le texte devra ensuite être voté à la fois par le Sénat et l’Assemblée nationale. L’instabilité de sa composition et la fragilité du gouvernement actuel s’ajoutent aux incertitudes.

Dans son discours de politique générale, le 14 janvier 2025, le Premier ministre François Bayrou a néanmoins réaffirmé la nécessité de « prendre en compte les spécificités insulaires » et de « faire confiance à la responsabilité des collectivités ». Il a également soutenu son souhait de faire respecter le calendrier de l’évolution constitutionnelle pour la Corse, fixé à fin 2025.

Un statut déjà particulier

Si aujourd’hui, la Corse est une collectivité au statut unique avec un partage de compétences administratives entre Paris et Ajaccio, l’île méditerranéenne est le fruit d’une histoire de décentralisation progressive depuis des décennies. Jadis, la Corse a été une île indépendante et s’est même dotée d’une des premières constitutions écrites, en 1755 - avant celle des Etats-Unis d’Amérique en 1787 ou de la France en 1791. En juillet 1768, la France a racheté à Gênes ses droits sur l'île. Dix ans plus tard, la Corse est définitivement rattachée à la France.

Les siècles passent et ce n’est que dans les années 1960 que surgit « un mouvement d'abord régionaliste, puis autonomiste et enfin à la fois autonomiste et indépendantiste à partir de 1975-1976 », comme le rappelle le président du Conseil exécutif de Corse Gilles Simeoni aux sénateurs français dans le cadre de la Commission des lois du Sénat, le 5 juin 2024.

Michel Verpeaux, professeur de droit public émérite de l’université Panthéon-Sorbonne, détaille : « En réaction, le gouvernement de l’époque a voté une loi, le 2 mars 1982, donnant à la région Corse un statut particulier et une assemblée, les conseils régionaux n’existant pas encore. » Pourtant, les tensions ne s’apaisent pas et c’est dans un contexte violent que la Corse accède, en 1991, au statut de collectivité territoriale. La première version du texte du 13 mai 1991, dit « statut Joxe », reconnaît alors « le peuple corse » comme « composante du peuple français », article qui a ensuite été censuré par le Conseil constitutionnel. En effet, il ne peut y avoir dans la République française qu'un seul peuple : le peuple français. La demande d’une reconnaissance d’un peuple corse continue aujourd’hui encore d’être portée par les indépendantistes corses.

Au début des années 2000, le processus de Matignon, entamé par Nicolas Sarkozy, relance une possible révision constitutionnelle qui sera infructueuse. « Les Corses interrogés par référendum en 2003 ont explicitement refusé la création d’une collectivité unique », appuie l’historien Camille Dus. Pourtant, la loi NOTRe, votée en 2015 mais mise en œuvre en 2018, instaure une collectivité sui generis. C’est ce que détaille Gilles Simeoni aux sénateurs : « la loi NOTRe a consacré la naissance de la Collectivité de Corse (CDC), au terme d'un processus de fusion entre les trois collectivités territoriales préexistantes. Mais, nos attributions sont limitées, sans pouvoirs normatifs particuliers, ni de compétences réelles dans tous les domaines essentiels ; et, lorsque nous avons une compétence particulière par rapport au droit commun, celle-ci est systématiquement partagée avec l'État. »

Les limites de la décentralisation corse

La loi de 2015 n’est donc pas suffisante pour la Corse. Et cela s’est notamment traduit par la victoire et le renforcement d’élus indépendantistes et régionalistes lors des élections de 2017 et de 2021. Quelques mois plus tard, en mars 2022, la Corse bascule à nouveau dans la violence. À la suite de la mort d’Yvan Colonna, assassin du préfet Claude Erignac, et militant indépendantiste, des émeutes secouent l’île pendant plusieurs jours. Au cœur des revendications, on retrouve, indiscutablement, l’autonomie. Alors, « bien que le ministre de l’Intérieur d’alors, Gérald Darmanin, soit plutôt connu pour sa culture jacobine, il entame un nouveau processus d’autonomisation », analyse le professeur Michel Verpeaux.

Le processus, dit « de Beauvau », fait l’objet de nombreuses discussions. D’un côté, le gouvernement français reste attaché au principe d'indivisibilité fondateur de la République depuis la Révolution : quel que soit le territoire national, la loi doit être la même partout. De l’autre, les élus corses à la CDC expriment leurs souhaits d’évolution pour une plus grande autonomie.

Outre la prise en compte de la vie plus chère que sur le continent et la création d’un statut de résident pour régler les questions foncières et immobilières, le président de la CDC appelle à des moyens budgétaires structurellement plus importants. Il plaide « en faveur d'une co-officialisation de la langue corse et d'une série d'évolutions institutionnelles vers un statut d'autonomie.

Loin d’être anecdotique, la reconnaissance du corse au même titre que le français sur l’île fait craindre, à long terme, un risque de sécession. Véronique Bertile, maître de conférences en droit public à l’université de Bordeaux et secrétaire générale de l'association des Juristes en droit des Outre-Mer, précise qu’« un État peut se constituer lorsqu'un peuple installé sur un territoire s'organise politiquement. Or, le premier marqueur de toute communauté est sa langue. C’est pour cela que la France à la Révolution française a fait du français la seule langue officielle et a voulu “anéantir” les langues régionales. » Dans les « écritures constitutionnelles », en cours de discussion, les compromis ne retiennent pas la reconnaissance d’un peuple corse mais mentionnent « sa communauté historique, linguistique, culturelle, ayant développé un lien singulier à sa terre ».

L’exemple des Açores et de Madère

Ces « écritures constitutionnelles » ne sont, pour le professeur Michel Verpeaux, qu’un « projet vague et large ». Véronique Bertile indique quant à elle que « si une autonomie législative est accordée à la Corse, les lois corses seront soumises au Conseil constitutionnel, comme les lois nationales. »

Elle s’appuie, pour rendre compte de la possible évolution de la Corse, sur le droit comparé et le modèle des Açores et de Madère. Ces îles portugaises ont, depuis 1976, un statut autonome. Toujours unies à l’État du Portugal, elles se voient reconnaître une autonomie garantie par trois listes de compétences : celles régaliennes exercées par le Portugal, celles appartenant à la région autonome et celles partagées entre l'Etat et la région.

Sur le territoire français, et bien qu’elle soit difficilement comparable, la Nouvelle-Calédonie possède un statut similaire depuis 1998. Du fait de son histoire fortement liée au colonialisme, il n’a pas été aisé pour Paris de cantonner ses revendications à ce territoire. « La Polynésie française a longtemps aussi demandé ce statut, mais il lui a toujours été refusé », précise Véronique Bertile.

Michel Verpeaux va plus loin : pour lui, la révision constitutionnelle peut être lue de deux manières ; « soit la France garde la Corse dans son giron ou alors la Corse finira par accéder à son indépendance. »

Des discussions complexes

Dans la capitale, le risque de sécession de la Corse est dans de nombreuses têtes. Camille Dus, historien, l’assure : « l'autonomie est le marchepied de l’indépendance et de la différenciation ». A l’inverse, pour la juriste Véronique Bertile, « l’accession de la Corse à l’autonomie est le meilleur rempart contre les indépendantistes. Les trois dernières élections ont donné largement vainqueurs les nationalistes. Pendant combien de temps peut-on ne pas écouter l’expression de la population sans qu’elle se radicalise et clame son droit à disposer d’elle-même ? »

Bien que des spécificités locales, territoriales et culturelles existent en Corse, Camille Dus précise qu’elles peuvent exister partout ailleurs : « Même à l’échelle d’un quartier de Paris, par exemple. » Octroyer l’indépendance, c’est renverser le principe d’égalité selon lequel tous les Français sont égaux devant la loi. « Le SMIC pourrait être différent en fonction des régions, nous reviendrions à une société féodale. »

Autre crainte, cette fois-ci du côté de la fédération PCF de Haute-Corse. En marge du déplacement du ministre de l’Aménagement du territoire et de la décentralisation en Corse, ses élus alertent, en conférence de presse : « Vidé de la question sociale, nous craignons que le débat sur l’avenir de la Corse ne débouche sur une réforme institutionnelle qui ne fasse qu'anticiper une mise à l’écart de la République contre la volonté des Corses. » Même son de cloche du côté de Camille Dus. « L’autonomie est le synonyme d’une dislocation de l’action publique et d’un désengagement de l’Etat, comme c’est déjà le cas en Nouvelle-Calédonie. C’est aussi plus de corruption et plus de mafia quand on connaît les liens qu’entretiennent les nationalistes et la mafia. »

Mais ce qui inquiète surtout les autorités de l’Hexagone, c’est le risque de contagion. La Corse, par sa proximité presque immédiate avec la Métropole et son histoire récente, sans colonialisme ni esclavage, peut réveiller des revendications régionalistes. Le président de la région Bretagne a déjà demandé « la même chose ».

L’Etat a-t-il agi en pompier pyromane en entamant ce processus ? Il faut encore que le Parlement se réunisse à Versailles et que trois-cinquièmes de ses membres votent en faveur de cette loi constitutionnelle. Le président de la République, Emmanuel Macron, pourrait également demander un référendum, mais cette option paraît peu probable. La révision constitutionnelle semble encore loin d’entrer en vigueur.

Marie-Agnès Laffougère

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