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(92) Tribunal de Nanterre : « On n’est pas au spectacle ici ! »

(92) Tribunal de Nanterre : « On n’est pas au spectacle ici ! »
Publié le 18/03/2025 à 08:42

CHRONIQUE. Deux jeunes hommes de 22 et 23 ans comparaissent devant le tribunal correctionnel de Nanterre pour des vols de véhicules, et dans des véhicules, commis en série, au cours des derniers mois. Après avoir nié, ils admettent aujourd’hui ce qu’on leur reproche.

Dans la nuit du 20 au 21 août 2024, la vidéo surveillance de cette résidence de la ville de Garches filme un véhicule utilitaire duquel deux individus grimés s’extraient ; ils marchent vers un parking et passent hors champ.

Ils réapparaissent quelques secondes plus tard sur une moto grosse cylindrée : le conducteur dépose le passager à côté de l’utilitaire, et les deux acolytes se séparent. La vidéo permet d’identifier l’immatriculation du véhicule, qui est enregistré au nom de Kevin, un artisan du bâtiment dont la ligne téléphonique borne à Garches ce soir-là. Sa ligne borne à Fontenay-sous-Bois le lendemain, à proximité d’un autre vol. L’enquête débute.

Les policiers remarquent que le véhicule de Kevin circule entre divers chantiers en journée, et entre divers lieux la nuit, laissant penser à des repérages. Le 6 novembre, il borne dans une grande rue de Boulogne, où Kevin, dans le visu des policiers en planque, fait le guet. Il observe son complice forcer des selles de scooter pour en dérober le contenu. Une scène identique se répète le 27 novembre, dans le 16e arrondissement de Paris.

Le 15 décembre, les policiers mettent en place un dispositif pour interpeller les deux voleurs en flagrant délit. La scène se déroule aux abords du Parc des Princes, un soir de match. L’utilitaire se gare à côté du parking des deux-roues, Kevin surveille, tandis que son collègue vole. Ne parvenant pas à se rapprocher suffisamment de la scène pour constater le vol, les policiers décident de les suivre. Les deux compères continuent leur tournée à Nanterre, à Paris. Ils sont interpellés place de Mexico, dans le 16e. La fouille du Ford Transit va amener à la découverte de trois casques de moto ainsi qu’à un tournevis. Les perquisitions permettent de retrouver des équipements de moto. Le préjudice est estimé à 45 000 euros, un montant essentiellement composé du prix de deux motos volées.

« J’étais déboussolé et j’avais besoin d’argent »

Le jour de l’audience, Kevin est à la barre tandis que Kenzi est dans le box. Leur première comparution a été renvoyée, ils ont eu six semaines pour réfléchir, et Kevin a décidé de changer sa version. « Devant les enquêteurs, j’ai nié, et maintenant, je reconnais les faits. » Plus précisément : deux faits - les vols de moto, à Garches et à Fontenay.

« Tout ça commencé le jour de la radiation de mon entreprise, le 8 août. J’étais déboussolé et j’avais besoin d’argent. Une connaissance m’a proposé de me faire 500 euros. Je l’ai fait deux fois et je n’ai plus eu de nouvelle. » Une fois le travail effectué, il se rendait à Drancy pour toucher sa paye et rentrait chez lui.

Il a formé le jeune Kenzi au métier de maçon ; ce dernier, au vu de son casier, est plutôt spécialisé dans le vol avec effraction (dix condamnations). C’est pourquoi il est détenu. Le président lui demande : « Vous reconnaissez les faits ?

-     Totalement.

-     Et l’un comme l’autre, vous vous trimballez avec téléphone portable sur les lieux des faits ?

-     On n’est pas des grands voleurs.

-     Effectivement, je ne vous le fais pas dire, ça fait un peu bras cassé. »

Kevin, chef d’entreprise, a un casier vierge. C’est la raison pour laquelle il a été placé sous contrôle judiciaire. Leur avocat commun demande à Kevin : « Est-ce que vous seriez prêt à embaucher Monsieur Kenzi B. ?

-     Y’a aucun souci. »

Kenzi se cache le visage en rigolant, l’air gêné.

« Monsieur B., vous êtes également maçon. Vous êtes marié ? Vous avez des enfants ?

-      J’ai peut-être un enfant.

-      Ah, c’est original.

-      Elle est enceinte. Mais on ne s’est pas vu depuis, elle ne sait pas où je suis.

-      Quel est le terme ?

-      Euh…

-      En général, les parents savent le terme par cœur. Vous ne l’avez jamais accompagnée chez le gynéco ? »

Kenzi ne comprend pas trop ce que ce sujet vient faire ici - il a déjà assez de problèmes. Il dit qu’il n’est pas certain d’être le père.

« Il faut se garder d’une prime à l’incompétence »

La procureure se lève pour prendre ses réquisitions : « Comme tous les faits sériels, il faut les envisager ensemble, car ils font système. » Elle détaille l’enquête des policiers : la géolocalisation, les surveillances, la vidéo-surveillance, l’interpellation. « Ce ne sont pas les délinquants les plus doués, mais il faut se garder d’une prime à l’incompétence. Ce sont des faits qui ont nécessité des investigations, on ne les a pas pris tous les deux la main dans le pot de confiture. » Elle demande pour chacun 12 mois de prison ; sous surveillance électronique pour Kevin, à la maison d’arrêt pour Kenzi. Alors que l’avocat s’apprête à débuter sa plaidoirie, le président l’interrompt pour adresser une virulente remontrance à des lycéennes qui prenaient leurs aises dans le public, ou à des lycéens qui se laissaient aller à un discret mais néanmoins visible grabuge. « On n’est pas au spectacle ici ! » Rires contenus.

L’avocat interrompu reprend : « C’est une pure atteinte aux biens, ce n’est pas très élaboré ; et le degré de structuration pèse sur la peine. » Il insiste sur l’insertion de l’un et la volonté d’insertion de l’autre, dont la plupart des condamnations, dit-il, datent de sa très jeune majorité. « Il y a une frénésie de passage à l’acte à ce moment-là, puis il se calme. » Mais le tribunal décide finalement de suivre les réquisitions, et tandis que l’un est laissé libre avec 2 500 euros d’amende en surplus, Kenzi part en prison pour un an, et devra s’acquitter d’une amende de 500 euros.

Julien Mucchielli

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