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(75) Prud’hommes, section Encadrement : « Ne faites pas de grands discours »

(75) Prud’hommes, section Encadrement : « Ne faites pas de grands discours »
Publié le 09/04/2025 à 08:04

CHRONIQUE. Au Conseil des Prud’hommes de Paris, la 5e chambre se consacre à la section encadrement. Les audiences de jugement doivent se prononcer sur des affaires où des cadres attaquent leurs anciens employeurs. Récit.

Sur les neuf affaires inscrites au rôle, deux seront jugées. L’une des petites salles du troisième étage du Conseil de Paris accueillait, exceptionnellement, la 5e chambre. Les audiences sont consacrées à la section encadrement, et les juges auront à traiter d’affaires où les demandeurs sont des managers ou des cadres et la défense, des sociétés.

La lumière presque estivale qu’il y a dehors disparaît sous les robes noires des avocats, venus en nombre répondre à l’appel. Dans cette salle, trois rangées de banc de part et d’autre font face à un buste de Marianne moderne. L’ambiance semble tamisée par les murs gris et par l’importance de cette audience pour les demandeurs.

L’un d’entre eux a le regard mi-inquiet, mi-vindicatif. Entouré de son avocat et d’une élève, avocate en devenir, il trépigne sur le dernier banc à droite. Ça s’agite aussi derrière le mur en bois, avant que le président et ses trois conseillers n’en sortent. Rubans bleu et rouge, médailles en or, argent et bronze permettent au public de les distinguer.

L’appel commence face à un président à la moustache bougonne. Alors que le premier avocat s’avance pour formuler « une demande de renvoi pour avoir le temps de formaliser l’accord », son confrère en demande arrive casque et veste de moto à la main et enfile sa robe à la barre. Le président statue sur le « renvoi dans un mois ». Après négociations, l’affaire se retrouvera devant cette chambre dans deux mois « exclusivement pour homologuer l’accord, à défaut vous vous exposez à la radiation ». Un à un, les avocats plaident pour un renvoi plus ou moins tard.

L’exposé des demandes

Seules deux affaires seront retenues cet après-midi. La première ouvre le bal en distribuant les conclusions de la demande et de la défense au président, aux conseillers et à la greffière. Le président interrompt les deux avocats : « Ne faites pas de grands discours, mais précisez-bien le numéro des pièces rapportées au dossier, à l’appui de vos prétentions. »

Comme le veut la procédure, l’avocat déroule la série de chefs de demande sous le regard de son client, prêt à bondir de son banc : « Je demande de déclarer le licenciement pour raison économique comme nul, de verser des indemnités de licenciement. » En demande subsidiaire, si le licenciement sans cause réelle et sérieuse n’est pas validé, le conseil plaide pour une série d'indemnités « de dommages et intérêts pour pallier la brutalité du licenciement, pour harcèlement moral, pour versement tardif des pièces justificatives et au titre de l’article 700. » Son confrère et adversaire ne requiert qu’un « article 700 à hauteur de 3 000 euros ».

Un parcours exemplaire ?

Pour rendre compte de l’ampleur de l’affaire, le conseil de cet ancien cadre dans une société de construction, commercialisation et promotion immobilière, détaille la situation initiale : « Mon client a été embauché le 9 septembre 2013 en qualité de négociateur. Très vite, tous ont pu constater qu’il était le meilleur vendeur entre 2014 et 2018. Il a été promu au poste de manager en 2019 puis directeur régional en 2021. Son équipe est passée de la cinquième à la 1e place entre 2019 et 2023. »

L’homme, dans la salle, se tient droit, les deux jambes comme plantées dans le sol alors que son avocat raconte « la campagne qu’a mis en place son supérieur au printemps 2023 pour le pousser au départ ». Son supérieur convoitait son poste avant une réorganisation de la société. Un premier courrier, datant du 26 mai 2023, fait part d’une série d'erreurs de négligences dont le demandeur aurait été coupable. « C’est la pièce numéro 9. » L’employé cherche à maintenir une relation de confiance et répond point par point à ce courrier de critiques inédites.

Trois mois plus tard, la société statue non pas sur un licenciement pour fautes graves, mais pour raisons économiques. Or, son conseil demande la nullité de son renvoi, car plus d’une dizaine de départs auraient eu lieu en moins de trente jours, ce qui aurait dû entraîner un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). « Officiellement, sept salariés ont été remerciés mais en réalité, plusieurs ruptures conventionnelles, fin de période d’essai et licenciement ont eu lieu à cette période. La société s’est toujours refusée à produire ses éléments, accablants », affirme avec énergie l’avocat à la barre.

Possible fraude au PSE

Le procès-verbal du comité social et économique (CSE) constituerait la preuve ultime de cette fraude au PSE. Selon la robe noire : « Le projet de licenciement collectif est clair et va au-delà des sept licenciements. Il ajoute trois ruptures de période d’essai, sept ruptures conventionnelles et quatre arrêts longue durée. On arrive à 14 départs en trente jours. »

Moins de deux mois plus tard, 38 salariés sont remerciés par le biais d’un PSE. La société aurait donc voulu isoler le coût d’un précédent PSE, équivalent à plus de 100 000 euros. Cette société ne connaîtrait aucune difficulté économique, au vu du chiffre d’affaires en augmentation ces deux derniers trimestres. Enfin, une seule possibilité de reclassement lui aurait été proposée. Inacceptable, pour l’avocat qui représente ce cadre : « Il aurait perdu 45 % de son salaire et aurait dû déménager à Marseille. »

Alors que le président s’agace - « il faut en terminer Maître » -, l’avocat conclut et laisse la parole à la défense. Le conseil de la société réfute l’argumentaire selon lequel la société prospérerait : « Entre 2020 et 2021, elle a enregistré 8 millions de pertes, 4 millions en 2022 et 7 millions en 2023. Est-ce que je dois vous rappeler la crise qui touche l’immobilier alors que les taux d’intérêts ont augmenté rapidement pour lutter contre l’inflation, entraînant une chute du secteur ? »

« Il a dit n’importe quoi »

« Je dois saluer l’énergie de mon contradictoire mais il a dit n’importe quoi. Il faut être sérieux cinq minutes, s’insurge l’avocat avant de poursuivre : Pensez-vous sérieusement que le CSE serait une bande d’imbéciles ayant validé noir sur blanc une fraude au CSE ? »

A ses yeux, ce procès-verbal fait seulement état de la force vive de travail disponible, d’où l’évocation des personnes en arrêt maladie. « Les ruptures de période d’essai ou ruptures conventionnelles arrivent régulièrement dans une entreprise de plus de 1 200 salariés », confirme-t-il. Sur le dernier rang, l’ancien salarié bouillonne et murmure des « c’est faux ! » à foison.

L’avocat termine sa plaidoirie : « Monsieur était le plus jeune, ayant la plus faible ancienneté et pas de charge familiale, il était en bas des critères d’ordre. Un mois et demi avant son licenciement, il dit par message à son chef “avoir compris” qu’il était le prochain sur la liste. »

Le conseiller portant une médaille en argent se tourne vers la défense : « Le même poste était-il disponible ailleurs ? » Réponse négative de l’avocat. Pourtant, dans la salle, le salarié répond l’inverse et tente de s’avancer à la barre pour répondre aux arguments de la défense. Le président balaie ses espoirs et annonce : « Ayant tout entendu, le Conseil se retire. » Le lendemain matin, le secrétariat téléphonique délivre le jugement : « Le Conseil a débouté Monsieur de ces demandes et a débouté les défendeurs de leurs demandes reconventionnelles. »

Marie-Agnès Laffougère

 

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